Trois ans après la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec), votée en 2020, le gouvernement lance une consultation avec les principaux acteurs du secteur. En débat : l’ajout de quelques centimes – de 5 à 10 % du prix – à chaque bouteille en plastique vendue, une somme qui serait restituée au moment de rapporter le contenant usagé. Pensée pour inciter les consommateur·ices au recyclage, la consigne ne bénéficie pas d’avantages écologiques si clairs.
La France très en retard sur la collecte des déchets plastiques
La France est loin des objectifs européens en matière de recyclage. La directive sur les plastiques à usage unique impose un taux de collecte de 77% pour les bouteilles d’ici 2025 et 90% en 2029. Certaines régions comme la Bourgogne Franche-Comté et les Pays de la Loire approchent de 80%, mais la moyenne française se situe encore très loin, aux alentours de 60% en 2021.
«La consigne est une des solutions, même si c’est un sujet bloquant. Pour atteindre 90% de recyclage, nos pays voisins [pays scandinaves, Allemagne, Pays-Bas, Islande, Croatie…] ont mis en place la consigne», a expliqué Bérangère Couillard, la secrétaire d’Etat en charge de l’écologie au début des consultations qui devraient durer jusqu’en juin. Mise en place depuis plusieurs années en Allemagne et dans les pays nordiques, la consigne permet en effet à ces pays d’atteindre des taux de collecte record, en incitant notamment à réutiliser les bouteilles consommées hors du domicile.
Cependant, «il semble que l’introduction d’un système de consigne à usage unique favorise un mode de pensée étroit et une concentration sur le recyclage, ce qui entrave la revitalisation des contenants à usages multiples», nuance une étude de l’Université de Halle-Wittenberg menée en 2021 sur le cas allemand. Pour les chercheur·ses, la consigne met trop la focale sur le recyclage, au détriment du réemploi des contenants une fois lavés, selon les principes de l’économie circulaire.
Réemploi contre recyclage
«On vous explique que ce n’est pas grave d’acheter des bouteilles en plastique puisqu’elles vont vous être redonnées. Mais c’est faux : pour les recycler on ajoute de la matière et on utilise de l’énergie», s’exaspère Moïra Tourneur, membre de l’association Zero Waste France. À l’instar des autres organisations de défense de l’environnement, elle soutient l’idée d’une consigne, mais uniquement pour le réemploi des contenants collectés et non pour leur recyclage. «La loi prévoit la fin des plastiques à usage unique d’ici 2040, ça serait un peu bête de mettre en place maintenant tout un système pour les recycler», développe-t-elle, en prônant l’utilisation et la consigne du verre. En effet, d’un point de vue scientifique et sanitaire, il est aujourd’hui compliqué de réutiliser le plastique à contact alimentaire sans le recycler. «Mais pourquoi ne pas réfléchir à sa pertinence pour des usages cosmétiques ou d’hygiène», propose-t-elle.
Les producteurs de bouteilles plastiques auraient eux-mêmes poussé pour ces objectifs de recyclage importants, dénonce Joel Ruffy, représentant de l’association Amorce qui porte la voix des collectivités. «Cela ne va rien changer au parcours classique d’une bouteille, à part leur donner une image plus vertueuse. Pour nous, cela ressemble beaucoup à une mesure de greenwashing», dénonce-t-il auprès de Vert. Le prix du plastique recyclé a presque doublé en un an pour atteindre les 2500€ la tonne et incite les industriels à maîtriser leurs gisements. «Coca-cola commence déjà à installer des consignes dans les supermarchés pour chercher la bonne matière première sans se soucier du reste», explique Jean-Christophe Gavallet, membre du réseau gestion des déchets de France Nature environnement. L’utilisation des bouteilles usagées est d’abord au centre d’importants intérêts économiques. Aujourd’hui, la collecte et le traitement des déchets d’emballage sont assurés par les collectivités locales et financés par des « éco-contributions », prélevées auprès des producteurs. Le passage à la consigne ferait donc perdre cette manne financière aux collectivités et pourrait rendre inutiles des investissements de collecte de déchets réalisés depuis plusieurs années.
Beaucoup d’incertitudes sur les bénéfices écologiques et sociaux
En plus des collectivités, le passage à la consigne ferait peser la responsabilité du tri sur les citoyen·nes. Une injonction qui pourrait entraîner une augmentation des émissions de gaz à effet de serre liées au transport, via le passage du camion de poubelle à la voiture individuelle. Et pourrait également entraîner un effet rebond, en incitant les consommateur·ices à continuer d’acheter des bouteilles en plastique, sachant qu’ils ou elles pourront en récupérer une partie du prix. «Cela conduira à faire payer les consommateurs deux fois pour un service public qui existe déjà», regrette Joel Ruffy, expliquant qu’une partie de la consigne sera captée par les metteurs en marché pour l’installation des 30 000 automates prévus.
Se focaliser sur la consigne détourne le débat de son enjeu principal, regrette Jean-Christophe Gavallet, pour qui «l’important reste de savoir comment on se désintoxique du plastique». Pour rassurer les 80 acteurs engagés dans la concertation qui débute mardi, le gouvernement laisse la porte ouverte à des réflexions plus larges, notamment sur l’implantation généralisée des bacs jaunes ou la tarification incitative, qui consiste à faire payer les usagers selon les quantités de déchets qu’ils produisent.
Danone, Nestlé et Coca-Cola – trois grands metteurs en marché – n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
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