Entretien

«J’amène de l’humour à des gens qui n’ont sûrement pas le temps, ni les moyens, d’aller en ville» : avec son Farm Tour, Nicolas Meyrieux fait rire les fermes de France

Humour de la terre. Après des années passées à parler d’écologie avec humour sur Youtube et à la télévision, c’est maintenant de ferme en ferme que Nicolas Meyrieux se donne en spectacle. Devenu agriculteur l’année dernière dans les Landes, le comédien est fier de pouvoir continuer à faire rire avec la crise écologique tout en nourrissant l’humanité. Il raconte son parcours et ses inspirations dans cet entretien à Vert.
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Au fin fond du Tarn, c’est à la ferme «Lou Claus» que Nico­las Meyrieux donne son spec­ta­cle pour la qua­trième date de son Farm Tour : une tournée des exploita­tions agri­coles du pays qui a com­mencé dans les Pyrénées-Atlan­tiques le 4 juin. Entourée d’arbres fruitiers qu’Hugo Puech, le pro­prié­taire des lieux, trans­forme en sirops, sor­bets et con­fi­tures, la petite scène se tient prête à accueil­lir la cinquan­taine de per­son­nes atten­dues ce ven­dre­di 7 juin. Tout l’après-midi, l’humoriste a par­cou­ru l’exploitation, caméra à la main, pour écouter les his­toires et les tech­niques agri­coles du jeune agricul­teur. Alors que le pub­lic com­mence à arriv­er, à deux heures de mon­ter sur scène, l’humoriste se repose devant un sirop de fraise fab­riqué à la ferme et se con­fie à Vert.

Comment as-tu entamé ta carrière d’humoriste ?

Nico­las Meyrieux : Quand j’é­tais petit, je savais déjà que je voulais être comé­di­en. Mes par­ents, eux, n’ont jamais été très ent­hou­si­astes à cette idée. Pour eux, il fal­lait tra­vailler dur pour réus­sir. Mais à 22 ans, j’ai pris mon courage à deux mains, je suis par­ti à Paris pour devenir comé­di­en. Mais je n’ai pas vrai­ment réus­si ce que je voulais et ça ne mar­chait pas trop pour moi. C’é­tait très dur.

Je suis par­ti vivre à Biar­ritz et le surf m’a redonné goût à la vie. En tra­vail­lant dur, j’ai pu me recon­stru­ire petit à petit. Puis, en 2011, j’ai com­mencé à faire des vidéos humoris­tiques sur YouTube. Au début, mes vidéos, c’é­tait vrai­ment de l’in­fo mar­rante et engagée. Je lisais les jour­naux et je m’a­mu­sais à en faire des sketchs.

© Nico­las Meyrieux

En par­al­lèle, j’ai com­mencé à fréquenter des clubs de stand-up à Paris. J’ai par­ticipé à l’émis­sion «On n’de­mande qu’à en rire» de Lau­rent Ruquier, ce qui m’a aidé à me faire con­naître. Les gens venaient voir mon spec­ta­cle, et ça m’a per­mis de bâtir une petite base de fans. Finale­ment, je me suis retrou­vé à tra­vailler sur France Info, où je fai­sais grosso modo la même chose que sur Youtube.

Nico­las Meyrieux abor­de avec légèreté et pré­ci­sion des thèmes aus­si var­iés que la bio­di­ver­sité, la tech­nolo­gie et les éner­gies fos­siles. © Vic­tor Jan­jic

Quand as-tu pris conscience du problème écologique ?

Le déclic écologique est venu pro­gres­sive­ment. Il n’y a pas eu un événe­ment unique qui m’a choqué. Mais en 2011, j’ai vu le film Océans de Jacques Per­rin et ça a été un vrai élec­tro­choc. Ça m’a fait réalis­er à quel point nous allons droit dans le mur si nous ne changeons rien. Au début, j’avais du mal à baser tout mon spec­ta­cle sur ce sujet. À chaque fois que j’écrivais, je me demandais com­ment je pou­vais faire pour ne plus faire par­tie du prob­lème et c’est là que j’ai moi-même com­mencé à devenir éco­lo.

Au fil des années, j’ai fait des change­ments pro­gres­sifs. J’ai arrêté d’a­cheter des vête­ments neufs, je suis devenu végé­tarien, je ne mangeais que bio, j’ai ven­du ma voiture, arrêté de pren­dre l’avion… À cette époque, j’ai fait tous les gestes pos­si­bles pour être cohérent avec mes con­vic­tions.

C’est un engagement complet. Cela a‑t-il influencé ton travail ?

Oui, totale­ment. Mon tra­vail et mon envie de cohérence m’ont poussé à chang­er ma vie. J’ai ressen­ti le besoin d’être légitime dans mes mes­sages. Je ne pou­vais pas me moquer de cer­taines pra­tiques si je ne m’ef­forçais pas de les éviter moi-même. Cela me per­met d’avoir une cer­taine légitim­ité quand je par­le d’é­colo­gie. Il y a des gens qui prô­nent l’é­colo­gie, mais con­tin­u­ent à pren­dre l’avion. C’est un défi de faire ces sac­ri­fices, mais je pense que c’est néces­saire pour être vrai­ment crédi­ble.

Tu arrives à ne pas trop faire peur aux gens ?

Pour moi, l’hu­mour est une excel­lente façon de par­ler de sujets sérieux comme l’é­colo­gie. Je ne drama­tise pas les choses, je préfère les abor­der avec légèreté pour sen­si­bilis­er le pub­lic. Ce n’é­tait pas évi­dent au début, il a fal­lu que j’ap­prenne à être drôle avant de pou­voir véhiculer mes valeurs.

«L’agriculture est à la base de toute l’écologie»

C’est impor­tant de recon­naître que per­son­ne n’est par­fait, mais l’im­por­tant est de faire des efforts sincères. J’ai beau­coup de per­son­nes qui vien­nent voir mon spec­ta­cle alors qu’elles ne sont pas con­va­in­cues, et qui ressorte avec un tas de ques­tions. J’ai aus­si des cri­tiques par­fois, mais ça fait par­tie du jeu.

Quand as-tu décidé de devenir agriculteur ?

Je me suis ren­du compte que l’a­gri­cul­ture était à la base de toute l’é­colo­gie. C’est ce qui réduit les iné­gal­ités sociales, prend soin des ressources naturelles, favorise la bio­di­ver­sité… C’est vrai­ment la clé pour une société viable. En 2019, j’ai quit­té Paris, je suis par­ti m’installer dans les Lan­des et j’ai passé mon diplôme au lycée agri­cole à Dax.

J’ai passé du temps à rechercher un ter­rain adap­té. Ça m’a pris env­i­ron deux ans pour trou­ver le bon endroit. En cours de route, j’ai ren­con­tré un asso­cié, pas­sion­né comme moi, qui avait déjà com­mencé à tra­vailler sérieuse­ment sur un pro­jet de maraîchage.

Les décors naturels de toute les fer­mes vis­itées offrent une expéri­ence unique.© Vic­tor Jan­jic

Quel est ton projet agricole ?

Mon objec­tif est de créer le plus grand musée du végé­tal comestible de ma région, en cul­ti­vant une grande var­iété de plantes adap­tées au cli­mat local, sans intrants chim­iques. De l’arbre aux champignons, c’est une sorte de jardin-forêt pour assur­er une sécu­rité ali­men­taire face à notre dépen­dance actuelle aux éner­gies fos­siles.

D’où est venue l’idée du «Farm Tour» ?

Un été, il y a deux ans, j’ai ren­con­tré mon ami Pierre, qui m’a pro­posé et prêté son bus amé­nagé pour faire la tournée de mon dernier spec­ta­cle «On sait pas» dans les fer­mes de France. C’était l’occasion pour moi de com­bin­er mes pas­sions pour l’é­colo­gie et l’hu­mour d’une manière unique. C’est un con­cept qui per­met aus­si d’amener de l’humour à des gens qui n’ont sûre­ment pas le temps, ni les moyens, d’aller en ville pour un spec­ta­cle à 30 euros la place. Ici, cha­cun ramène sa chaise, c’est hyper con­viviale. On peut manger les spé­cial­ités de la ferme et ça, c’est mer­veilleux. En plus, cette tournée me per­met de tourn­er un reportage dans les fer­mes qui m’accueillent pour ali­menter ma chaîne Youtube tout le reste de l’année.

Que veux-tu montrer dans ces portraits en vidéo de paysans et paysannes ?

Je veux mon­tr­er la réal­ité, les dif­fi­cultés que ren­con­trent les agricul­teurs et les créa­teurs au quo­ti­di­en. C’est une façon de sen­si­bilis­er et de partager des his­toires authen­tiques qui réson­nent avec beau­coup de gens. Au début, ça m’a choqué de voir à quel point cer­tains peu­vent se bat­tre pour réus­sir. Depuis que j’ai com­mencé à être moi-même paysan, j’ai dévelop­pé une meilleure com­préhen­sion de ces défis.

«À la fin de la tournée, j’é­tais telle­ment épuisé que j’ai fait un coma pen­dant trois jours»

Chaque agricul­teur a ses pro­pres défis, en fonc­tion de son his­toire et de ses ressources. Cer­tains ont hérité de leurs par­ents, d’autres non. Il y a ceux qui vien­nent du milieu agri­cole, ceux qui ont beau­coup d’ar­gent pour inve­stir, et ceux qui par­tent de rien.

© Nico­las Meyrieux

Comment s’est déroulée cette première tournée des fermes ?

Ça s’est très bien passé sur le plan artis­tique, mais j’ai dû faire face à des défis impor­tants pour ma san­té, tant men­tale que physique. On enchaî­nait deux représen­ta­tions par jour par­fois, en plus des vis­ites de fer­mes. C’é­tait une véri­ta­ble folie. À la fin de la tournée, j’é­tais telle­ment épuisé que j’ai fait un coma pen­dant trois jours après mon retour. C’é­tait comme si mon corps avait juste dit «stop». Mal­gré tout, je suis heureux d’avoir pu partager notre pas­sion pour l’a­gri­cul­ture et le spec­ta­cle avec tant de gens. Finan­cière­ment, c’é­tait aus­si com­pliqué, car toute la tournée dépendait de la générosité des gens au cha­peau.

Cette année, nous avons changé notre approche en trou­vant des spon­sors et une équipe plus nom­breuse. Cela me per­met de me con­cen­tr­er sur la créa­tion et le tour­nage de nos spec­ta­cles.

Quel est ton prochain grand projet ?

Mon prochain spec­ta­cle par­lera de la dif­fi­culté de s’in­staller comme paysan sans avoir gran­di dans ce milieu. C’est une autre facette de mon par­cours que j’ai hâte de partager lorsque le temps sera venu.