Qu’elle permette de lutter contre l’éco-anxiété ou de trouver du sens au militantisme, la foi est un ressort puissant pour s’engager sur les questions environnementales et sociales. Depuis plusieurs années, nombre de croyant·es revendiquent leur spiritualité au nom de leur engagement écologique et s’en inspirent pour prendre soin de la planète.
🔥 À l’occasion des dix ans de l’encyclique du pape François Laudato Si’ sur l’écologie, Vert s’associe au journal La Croix pour un partenariat inédit qui a débuté mercredi 21 mai avec une grande soirée commune à l’Académie du climat, à Paris, autour de cette question : «Les spiritualités, un nouvel élan pour l’écologie ?»
Pendant un mois, Vert publiera chaque semaine un reportage ou une enquête autour des spiritualités et de l’écologie. Voici le deuxième article de cette série.
Ces mobilisations se font en partie au sein de structures dédiées, comme le mouvement catholique Laudato si’, le collectif chrétien Lutte et contemplation ou encore l’ONG interreligieuse GreenFaith. Elles se développent aussi dans des organisations plus «traditionnelles» du mouvement climat, comme la branche «spiritualités» créée par le mouvement de désobéissance civile Extinction rebellion en 2022. Vert a échangé avec trois figures engagées au sein de différentes religions.
Hala Bounaidja-Rachedi, l’islam au service d’un militantisme intersectionnel
À 37 ans, Hala Bounaidja-Rachedi est une militante de longue date. Musulmane de confession et issue d’une famille politiquement engagée, elle est responsable de la communication chez GreenFaith, une ONG interreligieuse qui lutte contre les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) depuis 2023.
Elle est par ailleurs formatrice et travaille sur la question des nouveaux récits au sein du mouvement climat et cible des publics (racisé·es, issu·es de minorités, etc.) qui ne se reconnaissent pas toujours dans les organisations écologistes traditionnelles. Hala Bounaidja-Rachedi se définit comme une écoféministe décoloniale et milite depuis plus de 20 ans dans divers cercles féministes, antiracistes et environnementaux (notamment auprès de l’association Lallab, du collectif Nta rajel ou encore du réseau des Impactrices).

Pour elle, allier sa foi et ses convictions militantes a toujours été une question de cohérence : «On m’a appris que Dieu était juste. Voir de l’injustice autour de moi, ou en subir moi-même, a été un moteur pour creuser des questions sur le sexisme, l’islamophobie et le racisme, et enfin la justice pour le vivant, témoigne Hala Bounaidja-Rachedi. Lorsque j’agis sur ces sujets, je ressens un alignement et un ancrage dans ma spiritualité.» Son militantisme est une manière de mettre en pratique la théorie véhiculée par le Coran. «Un temps de prière équivaut à un moment où je vais être à une action pour le climat, martèle la militante. Dans la religion, on ne nous demande pas uniquement de prier, mais de mettre en mouvement ce pourquoi on croît.»
Caroline Ingrand-Hoffet, la «pasteure des zadistes»
Pasteure de la paroisse de la petite commune de Kolbsheim (Bas-Rhin) depuis 2010, Caroline Ingrand-Hoffet est issue d’une famille pastorale sur plusieurs générations. En 2016, elle a publiquement pris position lors d’un culte contre le Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg, un projet de tronçon autoroutier passant sur son village. «Le pasteur n’a pas vocation à rester dans son église, il doit aussi être dans les combats de la vie quotidienne», estime Caroline Ingrand-Hoffet.

Au cours des années suivantes, elle s’est jetée à corps perdu dans cette lutte : elle a organisé des cérémonies en hommage aux arbres coupés, été convoquée par les gendarmes après avoir sonné les cloches du village pour prévenir les militant·es de l’arrivée des machines, et ouvert la porte de son presbytère pour donner un abri aux zadistes installé·es dans une clairière à proximité de sa paroisse. Une cohabitation originale avec cette «joyeuse troupe», qui a duré deux ans : «C’était rigolo, mais il y avait aussi quelque chose de très profond dans cette idée que la paroisse est un lieu de refuge et que le pasteur offre un accueil inconditionnel», détaille celle qui a ainsi été surnommée «la pasteure des zadistes».
Malgré l’échec de cette lutte – le GCO a été inauguré en 2021 –, Caroline Ingrand-Hoffet a continué à se mobiliser ponctuellement lors d’actions de désobéissance civile ciblant le projet Eacop de TotalEnergies – cet oléoduc chauffé de 1 443 kilomètres de long traversant l’Ouganda et la Tanzanie. Un engagement qui coule de source pour elle : «En tant que pasteure, femme blanche et bourgeoise de 50 ans, je me dois d’utiliser ma position confortable pour agir et faire ce que d’autres ne peuvent pas se permettre.»
Kankyo Tannier, une nonne bouddhiste pour sauver les animaux de l’abattoir
Après avoir grandi dans une famille catholique, Kankyo Tannier a découvert le bouddhisme zen pendant sa vingtaine et s’est installée dans le monastère Ryumonji, en Alsace, où elle vit depuis 2001. En 2020, elle a décidé de transformer un ranch à proximité du monastère pour faire naître la ferme Kibo (qui signifie «espoir», en japonais) : un lieu de retraite spirituelle, une ferme-pédagogique qui pratique la permaculture et un sanctuaire animalier. Dans ce refuge-sanctuaire, on trouve des chevaux, des lapins, des chats ou encore des tortues – tous sont des animaux âgés ou sauvés de l’abattoir. La ferme Kibo entend sensibiliser ses visiteur·ses à un quotidien en harmonie avec le vivant. «Notre rôle est de proposer un mode de vie et une manière d’être entre tous les êtres humains qui soit soutenable. J’espère que quand les visiteurs voient ça, ils s’en inspirent et se disent que c’est possible», explique Kankyo Tannier.

Son engagement a dépassé les limites de sa ferme monastique, puisque la nonne bouddhiste a également participé à des actions de désobéissance civile contre le projet Eacop de TotalEnergies à plusieurs reprises – et notamment aux côtés de GreenFaith et de Caroline Ingrand-Hoffet. Un choix cohérent pour Kankyo Tannier : «Le fait qu’autant de religieux s’unissent pour une même cause donne une sorte de caution morale et porte le message bien plus loin.»
Pour elle, spiritualité et engagement sont les deux facettes d’une même pièce. Il y a dix ans, après une dépression de plusieurs mois liées à la lecture d’ouvrages sur la collapsologie (un courant de pensée qui anticipe l’effondrement de la civilisation industrielle), elle a puisé dans la méditation pour apaiser ses peurs et les émotions qui l’assaillent face à la crise climatique. «Et, en retour, c’est le fait de me mettre en action qui a relancé un élan, raconte-t-elle, et qui m’a permis de voir qu’il était quand même possible de créer quelque chose de beau, malgré ce marasme ambiant.»
«Quand on a une religion, on a une vision du bien pour la société»
Paula de Wailly est la cofondatrice du collectif Lutte et contemplation. D’abord pensé comme un groupe de prière autour des sujets environnementaux, Lutte et contemplation s’est ensuite structuré en 2023. Ce mouvement a pour objectif de porter une voix chrétienne dans les luttes écologiques et sociales. Le collectif mène désormais des missions de plaidoyer auprès de l’Église, ainsi que des actions de terrain pour mobiliser la société civile. Lutte et contemplation se dresse tout particulièrement contre le projet Eacop de TotalEnergies, qui vise à construire un oléoduc chauffé géant qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie. Vert a rencontré Paula de Wailly à l’Académie du climat, à Paris, dans le cadre d’une table ronde sur les spiritualités dans les mobilisations écologistes contemporaines. Elle a répondu – en vidéo – à quelques questions.
