Le vert du faux

Faut-il tuer tous les moustiques ?

Ils grattent, tuent et prolifèrent avec le réchauffement climatique ; les moustiques hantent les nuits d’été et l’imaginaire des humains. Plus anciens qu’Homo sapiens, ils rendent pourtant de nombreux services à nos écosystèmes.
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Avec près de 780 000 victimes par an, le moustique est de loin l’animal le plus meurtrier pour les humains (devant les humains eux-mêmes). De quoi lui donner une mauvaise réputation, pas toujours justifiée. Sur les 3 600 espèces de moustiques répertoriées, seule une centaine – dont les femelles exclusivement – piquent les humains pour pomper leur sang ; seules trois ou quatre ont un réel impact sur la santé publique par la transmission de virus et maladies.

Un risque cependant de plus en plus préoccupant en raison de l’adaptation de ces espèces aux insecticides, de la réduction de l’efficacité des antibiotiques sur les maladies véhiculées, ainsi que du réchauffement climatique. Les moustiques tigres, par exemple, se trouvent désormais à leur aise dans de nombreuses régions françaises. Faisant craindre une épidémie de dengue via des infections « autochtones » (ayant lieu sur le sol métropolitain), alors qu’elles étaient jusqu’à présent réservées aux voyageurs en provenance des pays tropicaux. Même si la tentation de les voir disparaître est grande, il faut d’abord « apprendre à connaître les moustiques avant de vouloir les tuer », prévient Michel Collin, directeur d’un bureau d’études spécialisé dans la science de l’insecte en Bretagne.

Les moustiques font partie de l’équilibre du vivant

Outre le fait de nous piquer, les moustiques ont un rôle majeur dans la chaîne alimentaire. À l’état de larves, en tant qu’insectes ou après leur mort, les culicidés servent d’abord de repas aux oiseaux, chauve-souris, grenouilles ou libellules. « On a même découvert que les hirondelles venant d’Afrique stockaient des moustiques dans leur plumage pour se nourrir pendant la migration », détaille Michel Collin auprès de Vert. Une étude publiée dans la revue Science of the total environment en 2020 a confirmé que la démoustication à l’aide du biocide Bti – notamment utilisé en Camargue – pouvait entraîner un déclin de la population d’oiseaux en supprimant une source importante de nourriture. Gourmandes en débris végétaux, les larves de moustiques participent également à la filtration de l’eau et fertilisent les sols. Enfin, ces insectes sont également des pollinisateurs, même si leur contribution reste anecdotique par rapport aux abeilles ou aux papillons.

L’impact de la démoustication sur la biodiversité en Camargue, Court métrage réalisé par les élèves de l’école MoPA en partenariat pédagogique avec la Tour du Valat.

Demain des moustiques génétiquement modifiés ?

« Il n’existe aucun prédateur spécifique au moustique », nuance néanmoins Frédéric Simard directeur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Selon lui, « si le moustique disparaît, il y aura tout de suite d’autres insectes qui prendront sa place ». Pas question pour autant de chercher à l’éradiquer. Il suffirait de cibler « les espèces les plus dangereuses dans les zones peuplées ».

Financée par la fondation Bill & Melinda Gates, l’organisation Target Malaria développe un projet de modification génétique pour réduire la fertilité des moustiques porteurs du paludisme. « Ici, on voit ça comme de la science-fiction, mais dans d’autres environnements, ce sont des solutions qui pourraient être adoptées pour préserver la vie », estime Frédéric Simard, en mettant en avant l’analyse coût-bénéfice. « Ça ne pourra pas être pire que ce qu’il se passe déjà », appuie Éric Marois, chargé de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), alors que « les insecticides ont fait des ravages incommensurables sur l’Homme et les écosystèmes, en provoquant notamment des retards cognitifs chez certains enfants ».

La préservation des écosystèmes, pour que les prédateurs naturels régulent les moustiques, reste la meilleure solution pour combattre leurs nuisances. « Introduire de nouveaux prédateurs risquera toujours de provoquer des déséquilibres et sous-entend qu’on peut en produire industriellement : pas facile pour des libellules, chauves-souris ou plantes carnivores ! », précise à Vert Éric Marois. Mieux vaut donc déjà protéger les espèces présentes, en équipant par exemple les villes d’hôtels à hirondelles, qui en font un festin. En misant également sur la stérilisation des mâles, ou la mise en place de pièges qui imitent la respiration et l’odeur humaines, les spécialistes s’accordent à dire que la réponse aux agressions des moustiques ne passera pas par l’éradication, mais par l’usage d’un panel varié de solutions.

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