Farzana Faruk Jhumu l’énonce avec une émotion contenue : « Ma ville d’enfance risque de disparaître d’ici 2050 ». La jeune femme de 22 ans a vécu ses premières années dans le district de Lakshmipur, au sud du Bangladesh. Dans cette zone côtière du golfe du Bengale, où les terres flirtent avec le niveau de la mer, les difficultés s’accumulent. Les cyclones et les inondations mettent à sac habitations et terres agricoles. Ces dernières sont détruites par les reflux d’eau de mer qui les rendent infertiles, ou par l’affaissement des bords des nombreux fleuves, lessivés par les eaux. Cette année, la survenue de deux cyclones coup sur coup a pris tout le monde de court, et a entraîné la perte de vies et de terres supplémentaires, raconte-t-elle. « Au moment où nous parlons, 4 ou 5 districts sont inondés ». Autant de phénomènes aggravés par le bouleversement du climat.
En 2007, les images du cyclone Sidr – « peut-être le plus grand de l’histoire de notre pays » – se sont imprimées sur ses rétines de petite fille. « Tous ces gens qui ont perdu la vie ou leurs foyers… J’ai eu peur et je me suis demandée comment je pourrais aider », se remémore-t-elle, réajustant son hidjab fuschia. Voyant que l’aide humanitaire promettait d’affluer depuis l’occident, elle s’est toutefois rassurée.

Dix ans plus tard, désormais installée dans la capitale, Dacca, elle a recroisé, incrédule, une victime du cyclone dans un bidonville : « Il m’a expliqué que l’aide n’était jamais arrivée ». Elle, qui s’estime « privilégiée » d’avoir pu étudier en ville, ainsi que d’avoir accès à Internet, passe désormais une large part de son temps à se documenter sur la crise climatique, et tous les mécanismes sociaux, politiques ou économiques qui lui sont liés.
Elle retransmet une partie de son savoir dans l’école de fortune qu’elle a contribué à monter dans un bidonville, où se massent les victimes du chaos climatique, faute de plans gouvernementaux. Une école « qui est toute petite » rit-elle, financée par l’argent de poche de ses camarades. Trois jours par semaine, elle enseigne à ses élèves comment écrire leurs noms ou des lettres, et les forme sur tout un tas de « sujets sociaux » : « ils ne savent même pas qu’ils font face à des problèmes créés par quelqu’un d’autre », souffle-t-elle derrière ses larges lunettes noires. Lorsqu’elle parle de climat, c’est en le reliant avec les problématiques du quotidien rencontrées par ses élèves.
Farzana a fini ses études d’ingénieur en informatique au mois de mars. Plus intéressée par le climat, elle aurait voulu reprendre des études en sciences de la Terre. Mais elle sait qu’elle ne trouvera pas de travail dans cette branche, qui implique d’aller sur le terrain : « il y a trop d’endroits où les filles n’ont pas le droit d’aller ».

Depuis, elle milite à plein temps pour Fridays for future MAPA, la branche du mouvement dédiée aux personnes et aux régions les plus affectées par le changement climatique. En compagnie de trois de ses camarades originaires de Namibie, d’Ouganda et du Mexique, la jeune femme est arrivée à Glasgow à bord du Rainbow warrior, célèbre navire de l’ONG Greenpeace. Une allégorie de l’inaction climatique des États qui les condamne à voir leurs terres englouties par les eaux.
Son pays est l’un des plus vulnérables face au changement climatique. Comme son gouvernement à la COP26, Farzana se bat pour l’indemnisation des « pertes et dégâts » causés par la crise. Pour l’heure, ceux-ci « sont calculés en termes de terres perdues ou gagnées. Mais les pertes sont aussi émotionnelles et culturelles. »