Portrait

Farzana Faruk Jhumu, l’activiste du Bangladesh qui déferle sur Glasgow

Membre de Fridays for future, la jeune activiste bangladaise est arrivée à la COP26 en fanfare et à bord d'un bateau. Dans ses bagages, la ferme intention d'obtenir réparation pour les pertes humaines et « émotionnelles » infligées aux habitant·e·s des zones les plus vulnérables au changement climatique.
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Farzana Faruk Jhu­mu l’énonce avec une émo­tion con­tenue : « Ma ville d’en­fance risque de dis­paraître d’i­ci 2050 ». La jeune femme de 22 ans a vécu ses pre­mières années dans le dis­trict de Lak­sh­mipur, au sud du Bangladesh. Dans cette zone côtière du golfe du Ben­gale, où les ter­res flir­tent avec le niveau de la mer, les dif­fi­cultés s’ac­cu­mu­lent. Les cyclones et les inon­da­tions met­tent à sac habi­ta­tions et ter­res agri­coles. Ces dernières sont détru­ites par les reflux d’eau de mer qui les ren­dent infer­tiles, ou par l’af­faisse­ment des bor­ds des nom­breux fleuves, lessivés par les eaux. Cette année, la sur­v­enue de deux cyclones coup sur coup a pris tout le monde de court, et a entraîné la perte de vies et de ter­res sup­plé­men­taires, racon­te-t-elle. « Au moment où nous par­lons, 4 ou 5 dis­tricts sont inondés ». Autant de phénomènes aggravés par le boule­verse­ment du cli­mat.

En 2007, les images du cyclone Sidr« peut-être le plus grand de l’his­toire de notre pays » - se sont imprimées sur ses rétines de petite fille. « Tous ces gens qui ont per­du la vie ou leurs foy­ers… J’ai eu peur et je me suis demandée com­ment je pour­rais aider », se remé­more-t-elle, réa­jus­tant son hid­jab fuschia. Voy­ant que l’aide human­i­taire promet­tait d’af­fluer depuis l’oc­ci­dent, elle s’est toute­fois ras­surée.

Farzana Faruk Jhu­mu au « som­met des peu­ples » organ­isé à Glas­gow à l’oc­ca­sion de la COP26. © Loup Espargilière / Vert

Dix ans plus tard, désor­mais instal­lée dans la cap­i­tale, Dac­ca, elle a recroisé, incré­d­ule, une vic­time du cyclone dans un bidonville : « Il m’a expliqué que l’aide n’é­tait jamais arrivée ». Elle, qui s’es­time « priv­ilégiée » d’avoir pu étudi­er en ville, ain­si que d’avoir accès à Inter­net, passe désor­mais une large part de son temps à se doc­u­menter sur la crise cli­ma­tique, et tous les mécan­ismes soci­aux, poli­tiques ou économiques qui lui sont liés.

Elle retrans­met une par­tie de son savoir dans l’é­cole de for­tune qu’elle a con­tribué à mon­ter dans un bidonville, où se massent les vic­times du chaos cli­ma­tique, faute de plans gou­verne­men­taux. Une école « qui est toute petite » rit-elle, financée par l’ar­gent de poche de ses cama­rades. Trois jours par semaine, elle enseigne à ses élèves com­ment écrire leurs noms ou des let­tres, et les forme sur tout un tas de « sujets soci­aux » : « ils ne savent même pas qu’ils font face à des prob­lèmes créés par quelqu’un d’autre », souf­fle-t-elle der­rière ses larges lunettes noires. Lorsqu’elle par­le de cli­mat, c’est en le reliant avec les prob­lé­ma­tiques du quo­ti­di­en ren­con­trées par ses élèves.

Farzana a fini ses études d’ingénieur en infor­ma­tique au mois de mars. Plus intéressée par le cli­mat, elle aurait voulu repren­dre des études en sci­ences de la Terre. Mais elle sait qu’elle ne trou­vera pas de tra­vail dans cette branche, qui implique d’aller sur le ter­rain : « il y a trop d’en­droits où les filles n’ont pas le droit d’aller ».

Les activistes de Fri­days for future MAPA Jakapi­ta Faith Kan­dan­ga, Farzana Faruk Jhu­mu, Maria Reyes et Edwin Moses Namakan­ga, à bord du Rain­bow War­rior de Green­peace © Suzanne Plun­kett / Green­peace

Depuis, elle milite à plein temps pour Fri­days for future MAPA, la branche du mou­ve­ment dédiée aux per­son­nes et aux régions les plus affec­tées par le change­ment cli­ma­tique. En com­pag­nie de trois de ses cama­rades orig­i­naires de Nami­bie, d’Ouganda et du Mex­ique, la jeune femme est arrivée à Glas­gow à bord du Rain­bow war­rior, célèbre navire de l’ONG Green­peace. Une allé­gorie de l’i­n­ac­tion cli­ma­tique des États qui les con­damne à voir leurs ter­res englouties par les eaux.

Son pays est l’un des plus vul­nérables face au change­ment cli­ma­tique. Comme son gou­verne­ment à la COP26, Farzana se bat pour l’in­dem­ni­sa­tion des « pertes et dégâts » causés par la crise. Pour l’heure, ceux-ci « sont cal­culés en ter­mes de ter­res per­dues ou gag­nées. Mais les pertes sont aus­si émo­tion­nelles et cul­turelles. »