Entretien

Fakear : «Mon fantasme, c’est de faire ressentir des émotions liées à la nature et qu’à la fin de l’album, les gens se disent écolo»

Théo Le Vigoureux, dit Fakear, est un DJ électro à l’univers poétique qui prend sa source «dans la nature». Dans son dernier album, Talisman, il a invité la militante pour la climat Camille Etienne à poser sa voix sur le titre «Odyssea». À Vert, il raconte sa prise de conscience, son ancienne répugnance à être étiqueté «artiste engagé» et les racines de sa poésie qui plongent dans les films de Miyazaki.
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Dans votre musique, quelle est la place de votre engagement en faveur de l’écologie ?

L’univers de Fakear, c’est l’imag­i­na­tion, l’évasion, une bulle de soulage­ment. Je fais de la musique pour soign­er et guérir. Mon engage­ment transparaît dans la musique car on guérit au con­tact de la nature. La nature est tou­jours en fil­igrane mais je ne le fais pas volon­taire­ment. Je fais d’abord de la belle musique et il se trou­ve que ce qui sort est relié à la nature.

De là découle le truc social et gau­cho (être de gauche c’est aimer les êtres vivants). Ça transparait aus­si dans la manière dont je gère le pro­jet d’un point de vue admin­is­tratif. Comme je suis le boss, j’ai une cer­taine sou­p­lesse sur com­ment rémunér­er les tech­ni­ciens et les met­tre en valeur. Je soigne ma rela­tion avec les gens qui sont au bas de la chaîne ali­men­taire. Sur le plan éco­lo, le nerf de la guerre est le trans­port et c’est le plus déli­cat à faire bouger.

Je fais par­tie de Music Declares Emer­gency, un think tank d’ac­teurs du milieu audiovidu­el qui se réu­nis­sent et met­tent en com­mun des solu­tions. Pomme a pro­posé une plate­forme de cov­oiturage pour se ren­dre à ses con­certs, la classe. La branche anglaise est ultra forte, on y trou­ve Radio­head. L’aberration, c’est qu’on ne peut pas grouper les dates dans une même région car il y a des claus­es d’exclusivité ter­ri­to­ri­ale. Pen­dant deux mois, tu ne peux pas jouer dans un ray­on de 100 km par exem­ple donc ça te fait tout le temps bouger. Je vois le rôle de l’artiste comme étant un vecteur d’in­spi­ra­tion.

Fakear © Ella Her­më

Ce que je déteste le plus, c’est le chic à la française, les « fuck­ing » Dujardin : une fas­ci­na­tion pour le mas­culin­isme, destruc­teur de la nature. On rat­tache l’é­colo­gie à une sorte de féminité, ou plus pré­cisé­ment de non-viril­ité. Je suis l’an­ti-Jean Dujardin. D’ailleurs, mes chan­sons sont émail­lées de voix de meufs car j’ai gran­di dans une famille où les femmes sont balès­es et toutes mes héroïnes de jeunesse sont des meufs : Nala dans le Roi Lion, Ami­dala dans Star Wars est une badass absolue. Ma meuf aus­si est une war­rior.

Grâce à l’univers poétique qu’elle déploie, peut-on considérer que votre musique est un refuge pour écoanxieux ?

Je suis moi-même un peu écoanx­ieux et ma musique me sert de refuge par­ti­c­ulière­ment sur scène. Sou­vent je me dis «Every­thing will grow again» : peu importe ce qui va se pass­er, la Terre va s’en remet­tre. J’essaie de faire des choses à mon échelle dès que je voy­age. Je suis allé en Polynésie faire une date, avec un bilan car­bone désas­treux, donc j’ai pris con­tact avec une asso qui replante des coraux. Je veux faire en sorte que dans ma pra­tique aus­si, ce soit déployé.

Dans votre dernier album, vous présentez une chanson en collaboration avec l’activiste Camille Etienne. D’où est né ce crossover ?

Mon label, Nowa­days, a sug­géré l’idée. J’ai con­tac­té Camille, elle était trop par­tante. Elle l’avait déjà fait : racon­ter l’his­toire et une fic­tion. Je voulais pas que ce soit ancré dans le réel mais dans l’imag­i­naire. On s’est vus en stu­dio, on a posé sa voix, c’é­tait ter­miné. Elle est arrivée avec un texte, j’ai dit « c’est génial », ça a duré une demi-heure. On a dû refaire parce que ça a plan­té. En tout ça a pris 1h30 : on n’est pas très per­fec­tion­nistes tous les deux.

Camille Eti­enne a posé sa voix sur le titre Odyssea de son album Tal­is­man.

De quand date votre rencontre avec Camille Etienne ?

Il y a quelques années, Camille Eti­enne a voulu me faire jouer pour son asso, On est prêt. Elle était encore à Sci­ences po. On est devenus potes très vite, à se voir et boire des coups. C’est elle et tout son entourage qui ont réveil­lé chez moi ce com­bat que j’avais au lycée ; ça m’a fait du bien. Car c’est un engrenage : tu as besoin de revenus, tu paies des impôts, et pierre après pierre tu fais par­tie du sys­tème. La fron­tière gauche/droite s’estompe. On se dit : « J’ai suff­isam­ment de prob­lèmes » pour ne pas s’encombrer avec des com­bats poli­tiques. Avec des gamins ; c’est encore plus « dead », ça t’en­cour­age à être per­so. J’ai de la chance de faire un méti­er de saltim­banque, de ren­con­tr­er des gens alter­nat­ifs.

Avec cette chan­son avec Camille, je suis arrivé à un point hyper fort de mon engage­ment. J’ai envie d’ap­pro­fondir ce chemin de padawan Miyaza­ki.

Mon fan­tasme, c’est de faire ressen­tir des émo­tions reliées à la nature et qu’à la fin de l’al­bum, les gens se dis­ent éco­lo. Peut-être qu’en sor­tant du con­cert, il y a quelque chose de plus franc, car je rajoute une dimen­sion visuelle avec des vues de drone, forêts. Tu ressors avec des images de nature, plus la musique : tout se se joue à ce moment-là. J’es­saie de tout ancr­er dans l’imag­i­na­tion et de tein­ter l’imag­i­na­tion.

D’où provient votre prise de conscience de la fragilité du monde ?

De l’enfance. C’est un truc réveil­lé par mes par­ents et mes grands-par­ents parce que je viens d’une famille mil­i­tante de gauche, de profs-musi­ciens, qui lisent Téléra­ma et écoutent France inter. Mes par­ents ne voulaient pas telle­ment que je regarde la télé alors j’étais un enfant-rêveur solo. Je jouais à des jeux vidéo et je regar­dais les dessins ani­més de Miyaza­ki.

Miyaza­ki a eu un impact énorme. C’est le pre­mier à m’avoir fait ressen­tir la nature sur le plan émo­tion­nel. Mes par­ents m’y éveil­laient de manière sco­laire, intel­lectuelle, poli­tique. Mais c’est Miyaza­ki qui m’a fait ressen­tir de la joie, de la peur, de la tristesse. Ce qui me fascine tou­jours dans Princesse Mononoké : on ne par­le pas d’é­colo­gie mais quand tu finis de regarder le dessin ani­mé, tu es éco­lo. Tout tourne autour des humains qui détru­isent : le san­gli­er sacré malade, les san­gliers mau­dits car ils ont du fer à l’in­térieur de leur peau, cor­rom­pus par l’u­til­i­sa­tion des humains. J’ai com­pris le monde à 8 ans en regar­dant Princesse Mononoké.

Au lycée, vous êtes devenu militant…

J’é­tais un lycéen mil­i­tant et reven­di­catif. J’ai été chef de cortège à Caen, foutu le bor­del au bahut. Au-delà de l’adré­naline et de la légèreté, ça a été néces­saire à éveiller ma con­science poli­tique. Beau­coup de gens de ma généra­tion ne sont pas éveil­lés poli­tique­ment. Il faut dire que c’est absurde que l’é­colo­gie soit un par­ti poli­tique. Com­ment tu peux être pour ou con­tre la nature ?  On en fait par­tie.  Les poli­tiques font en sorte que tu ne te sentes pas très con­cerné. J’avoue que ce mil­i­tan­tisme s’est tassé avec l’ar­rivée dans l’in­dus­trie de la musique ça a pris toute la place sur tout. Je suis revenu à un com­bat per­son­nel mais ce n’é­tait plus une cause criée sur les toits.

Pour vous, la musique, le succès et l’engagement étaient incompatibles ?

Dès que ça a com­mencé à marcher pour Fakear, je me suis dit qu’il fal­lait que je mette quelque chose en place car tout est poli­tique. Quand on a une image publique, il faut l’u­tilis­er. On n’a pas trop de choix. Il fal­lait que je teinte la musique d’une direc­tion dans laque­lle regarder, sans assumer pour autant le com­bat. J’avais peur d’être con­sid­éré comme un artiste engagé, rangé dans une caté­gorie. Je voulais pas être Tryo. Tryo, on dit rarement d’eux qu’ils font du reg­gae fes­tif, on dit que ce sont des chanteurs engagés. Mais ce n’est pas un genre ! A ce moment-là, Boo­ba, Ntm font aus­si du rap engagé. La notion d’en­gage­ment me parais­sait ringarde, nulle, désuète. Il fal­lait la jouer fine.

J’ai l’im­pres­sion que ça a évolué et, plus tard, je me suis dit qu’il fal­lait assumer ce com­bat-là. Beau­coup d’artistes se sont mis à défendre l’é­colo­gie: Pomme, on ne dit pas que c’est une artiste engagée. Rone, Tylacine, qui le font sur le ter­rain avec des vrais engage­ments et des mis­es en pra­tique. Ils ont assumé leur com­bat poli­tique avec moder­nité. Ça m’a encour­agé à me posi­tion­ner plus frontale­ment là-dessus.

Est-ce que le public est réceptif à vos messages ?

Beau­coup d’artistes comme moi se sen­tent illégitimes à par­ler de ces com­bats-là. Si je suis recon­nu, ça veut dire que je suis très inté­gré, donc j’ai de l’ar­gent et je ne suis pas à plain­dre. En plus, je suis DJ, je prends l’avion. Tu es vite décrédi­bil­isé parce que tu n’es pas avec les gens dans la rue et que tu vis pas la mis­ère. Je con­state ça dans les acteurs de gauche : la gauche a besoin de lead­ers et quand il y en a un, il est décrédi­bil­isé car c’est un leader fort : soit il est despo­tique, soit de droite mais cache son jeu. Je me suis retiré du com­bat et du mil­i­tan­tisme poli­tique car je ne me sen­tais plus légitime.

Main­tenant que j’ai dit à tout le monde que j’é­tais éco­lo, je vais con­tin­uer à par­ler de nature dans l’imag­i­naire. Les défendre dans ma vie de tous les jours. Surtout, me posi­tion­ner sur une scène où j’ai de la légitim­ité.