Dans votre musique, quelle est la place de votre engagement en faveur de l’écologie ?
L’univers de Fakear, c’est l’imagination, l’évasion, une bulle de soulagement. Je fais de la musique pour soigner et guérir. Mon engagement transparaît dans la musique car on guérit au contact de la nature. La nature est toujours en filigrane mais je ne le fais pas volontairement. Je fais d’abord de la belle musique et il se trouve que ce qui sort est relié à la nature.
De là découle le truc social et gaucho (être de gauche c’est aimer les êtres vivants). Ça transparait aussi dans la manière dont je gère le projet d’un point de vue administratif. Comme je suis le boss, j’ai une certaine souplesse sur comment rémunérer les techniciens et les mettre en valeur. Je soigne ma relation avec les gens qui sont au bas de la chaîne alimentaire. Sur le plan écolo, le nerf de la guerre est le transport et c’est le plus délicat à faire bouger.
Je fais partie de Music Declares Emergency, un think tank d’acteurs du milieu audioviduel qui se réunissent et mettent en commun des solutions. Pomme a proposé une plateforme de covoiturage pour se rendre à ses concerts, la classe. La branche anglaise est ultra forte, on y trouve Radiohead. L’aberration, c’est qu’on ne peut pas grouper les dates dans une même région car il y a des clauses d’exclusivité territoriale. Pendant deux mois, tu ne peux pas jouer dans un rayon de 100 km par exemple donc ça te fait tout le temps bouger. Je vois le rôle de l’artiste comme étant un vecteur d’inspiration.
Ce que je déteste le plus, c’est le chic à la française, les « fucking » Dujardin : une fascination pour le masculinisme, destructeur de la nature. On rattache l’écologie à une sorte de féminité, ou plus précisément de non-virilité. Je suis l’anti-Jean Dujardin. D’ailleurs, mes chansons sont émaillées de voix de meufs car j’ai grandi dans une famille où les femmes sont balèses et toutes mes héroïnes de jeunesse sont des meufs : Nala dans le Roi Lion, Amidala dans Star Wars est une badass absolue. Ma meuf aussi est une warrior.
Grâce à l’univers poétique qu’elle déploie, peut-on considérer que votre musique est un refuge pour écoanxieux ?
Je suis moi-même un peu écoanxieux et ma musique me sert de refuge particulièrement sur scène. Souvent je me dis «Everything will grow again» : peu importe ce qui va se passer, la Terre va s’en remettre. J’essaie de faire des choses à mon échelle dès que je voyage. Je suis allé en Polynésie faire une date, avec un bilan carbone désastreux, donc j’ai pris contact avec une asso qui replante des coraux. Je veux faire en sorte que dans ma pratique aussi, ce soit déployé.
Dans votre dernier album, vous présentez une chanson en collaboration avec l’activiste Camille Etienne. D’où est né ce crossover ?
Mon label, Nowadays, a suggéré l’idée. J’ai contacté Camille, elle était trop partante. Elle l’avait déjà fait : raconter l’histoire et une fiction. Je voulais pas que ce soit ancré dans le réel mais dans l’imaginaire. On s’est vus en studio, on a posé sa voix, c’était terminé. Elle est arrivée avec un texte, j’ai dit « c’est génial », ça a duré une demi-heure. On a dû refaire parce que ça a planté. En tout ça a pris 1h30 : on n’est pas très perfectionnistes tous les deux.
De quand date votre rencontre avec Camille Etienne ?
Il y a quelques années, Camille Etienne a voulu me faire jouer pour son asso, On est prêt. Elle était encore à Sciences po. On est devenus potes très vite, à se voir et boire des coups. C’est elle et tout son entourage qui ont réveillé chez moi ce combat que j’avais au lycée ; ça m’a fait du bien. Car c’est un engrenage : tu as besoin de revenus, tu paies des impôts, et pierre après pierre tu fais partie du système. La frontière gauche/droite s’estompe. On se dit : « J’ai suffisamment de problèmes » pour ne pas s’encombrer avec des combats politiques. Avec des gamins ; c’est encore plus « dead », ça t’encourage à être perso. J’ai de la chance de faire un métier de saltimbanque, de rencontrer des gens alternatifs.
Avec cette chanson avec Camille, je suis arrivé à un point hyper fort de mon engagement. J’ai envie d’approfondir ce chemin de padawan Miyazaki.
Mon fantasme, c’est de faire ressentir des émotions reliées à la nature et qu’à la fin de l’album, les gens se disent écolo. Peut-être qu’en sortant du concert, il y a quelque chose de plus franc, car je rajoute une dimension visuelle avec des vues de drone, forêts. Tu ressors avec des images de nature, plus la musique : tout se se joue à ce moment-là. J’essaie de tout ancrer dans l’imagination et de teinter l’imagination.
D’où provient votre prise de conscience de la fragilité du monde ?
De l’enfance. C’est un truc réveillé par mes parents et mes grands-parents parce que je viens d’une famille militante de gauche, de profs-musiciens, qui lisent Télérama et écoutent France inter. Mes parents ne voulaient pas tellement que je regarde la télé alors j’étais un enfant-rêveur solo. Je jouais à des jeux vidéo et je regardais les dessins animés de Miyazaki.
Miyazaki a eu un impact énorme. C’est le premier à m’avoir fait ressentir la nature sur le plan émotionnel. Mes parents m’y éveillaient de manière scolaire, intellectuelle, politique. Mais c’est Miyazaki qui m’a fait ressentir de la joie, de la peur, de la tristesse. Ce qui me fascine toujours dans Princesse Mononoké : on ne parle pas d’écologie mais quand tu finis de regarder le dessin animé, tu es écolo. Tout tourne autour des humains qui détruisent : le sanglier sacré malade, les sangliers maudits car ils ont du fer à l’intérieur de leur peau, corrompus par l’utilisation des humains. J’ai compris le monde à 8 ans en regardant Princesse Mononoké.
Au lycée, vous êtes devenu militant…
J’étais un lycéen militant et revendicatif. J’ai été chef de cortège à Caen, foutu le bordel au bahut. Au-delà de l’adrénaline et de la légèreté, ça a été nécessaire à éveiller ma conscience politique. Beaucoup de gens de ma génération ne sont pas éveillés politiquement. Il faut dire que c’est absurde que l’écologie soit un parti politique. Comment tu peux être pour ou contre la nature ? On en fait partie. Les politiques font en sorte que tu ne te sentes pas très concerné. J’avoue que ce militantisme s’est tassé avec l’arrivée dans l’industrie de la musique ça a pris toute la place sur tout. Je suis revenu à un combat personnel mais ce n’était plus une cause criée sur les toits.
Pour vous, la musique, le succès et l’engagement étaient incompatibles ?
Dès que ça a commencé à marcher pour Fakear, je me suis dit qu’il fallait que je mette quelque chose en place car tout est politique. Quand on a une image publique, il faut l’utiliser. On n’a pas trop de choix. Il fallait que je teinte la musique d’une direction dans laquelle regarder, sans assumer pour autant le combat. J’avais peur d’être considéré comme un artiste engagé, rangé dans une catégorie. Je voulais pas être Tryo. Tryo, on dit rarement d’eux qu’ils font du reggae festif, on dit que ce sont des chanteurs engagés. Mais ce n’est pas un genre ! A ce moment-là, Booba, Ntm font aussi du rap engagé. La notion d’engagement me paraissait ringarde, nulle, désuète. Il fallait la jouer fine.
J’ai l’impression que ça a évolué et, plus tard, je me suis dit qu’il fallait assumer ce combat-là. Beaucoup d’artistes se sont mis à défendre l’écologie: Pomme, on ne dit pas que c’est une artiste engagée. Rone, Tylacine, qui le font sur le terrain avec des vrais engagements et des mises en pratique. Ils ont assumé leur combat politique avec modernité. Ça m’a encouragé à me positionner plus frontalement là-dessus.
Est-ce que le public est réceptif à vos messages ?
Beaucoup d’artistes comme moi se sentent illégitimes à parler de ces combats-là. Si je suis reconnu, ça veut dire que je suis très intégré, donc j’ai de l’argent et je ne suis pas à plaindre. En plus, je suis DJ, je prends l’avion. Tu es vite décrédibilisé parce que tu n’es pas avec les gens dans la rue et que tu vis pas la misère. Je constate ça dans les acteurs de gauche : la gauche a besoin de leaders et quand il y en a un, il est décrédibilisé car c’est un leader fort : soit il est despotique, soit de droite mais cache son jeu. Je me suis retiré du combat et du militantisme politique car je ne me sentais plus légitime.
Maintenant que j’ai dit à tout le monde que j’étais écolo, je vais continuer à parler de nature dans l’imaginaire. Les défendre dans ma vie de tous les jours. Surtout, me positionner sur une scène où j’ai de la légitimité.