Décryptage

Détours, le média de Canal+ et Seat qui mêle sans vergogne journalisme et publicité

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Détourne­ment jour­nal­is­tique. Fruit d’un parte­nar­i­at entre Canal+ et Seat, le média Détours, spé­cial­isé dans les mobil­ités, n’hésite pas à faire la pro­mo­tion de la mar­que auto­mo­bile au milieu de con­tenus édi­to­ri­aux. S’il n’est pas illé­gal, ce mélange des gen­res est très dis­cutable sur le plan déon­tologique.

À pre­mière vue, la page d’accueil de Détours ressem­ble à celle d’un média clas­sique. Des arti­cles en Une sur la prési­den­tielle et les mobil­ités — la spé­cial­ité du site -, des rubriques thé­ma­tiques, des por­traits. Dans un coin, le logo de Canal+ et celui, plus sur­prenant, de Seat.

Détours est né en 2016 d’un parte­nar­i­at entre le groupe Canal et le con­struc­teur auto­mo­bile espag­nol. En bas de la page, là où un ban­deau ren­voie générale­ment vers les réseaux soci­aux du média, le site nous pro­pose de « suiv­re l’actualité Seat » avec des liens directs vers les comptes Face­book, Twit­ter, Linkedin, Youtube et Insta­gram de la com­pag­nie auto­mo­bile.

Les men­tions de Seat sont omniprésentes sur le site du média © Cap­ture d’écran de Détours

Sur le site de Détours, il appa­raît rapi­de­ment qu’au milieu de con­tenus jour­nal­is­tiques se cachent, sous forme d’ar­ti­cles, des pub­lic­ités pour la mar­que parte­naire du média, sans que soit claire­ment indiquée la men­tion « spon­sorisé par Seat ». « Chez Seat, les ouvri­ers peu­vent devenir développeurs en infor­ma­tique », « Des ex-design­ers SEAT inven­tent un yacht à énergie solaire », « Chez SEAT, des pièces auto bien­tôt con­stru­ites à par­tir de… riz » : cette con­fu­sion savam­ment entretenue se traduit depuis le début de 2020 par au moins 24 arti­cles qui promeu­vent directe­ment la mar­que.

Vous vous êtes rendu·e sur le site de Détours et vous n’avez pas trou­vé les arti­cles dont nous par­lons ? Voici pourquoi : depuis que nous avons adressé nos ques­tions à Détours, à la mi-avril, au sujet de leur parte­nar­i­at avec la firme espag­nole, la total­ité des arti­cles qui men­tion­naient Seat ont été retirés du site ! Cocasse, non ? Encore plus cocasse : grâce à la « Way­back machine » de l’In­ter­net web archive, il est pos­si­ble de retrou­ver la trace de cer­tains d’en­tre eux, comme celui-ci, celui-là, ou celui-ci, ou encore celui-là… et sans oubli­er celui-ci. Caisse que c’est que cette his­toire !

© Cap­ture d’écran de l’un des arti­cles sup­primés du site, retrou­vés grâce à la « Way­back machine »

Cette tech­nique de mar­ket­ing s’appelle le « native adver­tis­ing », soit de la pub­lic­ité native. Il s’agit de repren­dre la charte graphique et les codes d’écriture du site pour que la pub­lic­ité ressem­ble aux con­tenus qui l’entourent. Les arti­cles sur Seat sont noyés au milieu de con­tenus jour­nal­is­tiques et ne sont donc pas perçus comme de la pub­lic­ité par les lecteur·rices. Si cette pra­tique est de plus en plus courante à l’in­térieur de cer­tains titres de presse, il est plus rare qu’un média entier lui soit dédié. Ces con­tenus de « jour­nal­isme de mar­que » ne sont pas tou­jours signés, con­traire­ment aux autres papiers du site. On remar­que seule­ment la présence d’un ban­deau, inté­gré en haut de l’article, qui men­tionne, sans plus de détails : « La nou­velle mobil­ité s’explore avec Seat ». Dans le con­tenu des arti­cles qui par­le de la mar­que auto­mo­bile, il n’est pas tou­jours explicite­ment pré­cisé que Seat est un parte­naire du média.

Autre grief adressé au site : en jan­vi­er, le col­lec­tif Alerte Green­wash­ing a porté plainte con­tre Détours auprès du Jury de déon­tolo­gie pub­lic­i­taire (JDP) pour un arti­cle sur l’avion à l’hydrogène. Les plaignant·es reprochent au con­tenu de trans­gress­er les règles de l’Autorité de régu­la­tion pro­fes­sion­nelle de la pub­lic­ité (ARPP) con­cer­nant le développe­ment durable, notam­ment en min­imisant les con­séquences de ce mode de trans­port sur l’environnement. Dans sa requête, le col­lec­tif dénonce plus générale­ment les pra­tiques du média Détours, qui offre « une vit­rine pub­lic­i­taire » à Seat sous un aspect jour­nal­is­tique.

La plainte a été jugée irrecev­able par le JDP. Dans un cour­ri­er, l’instance de déon­tolo­gie explique ne pas être com­pé­tente, car la demande ne con­cerne pas un con­tenu pub­lic­i­taire à pro­pre­ment par­ler, mais un arti­cle de jour­nal. « Dès lors, celui-ci relève de la respon­s­abil­ité édi­to­ri­ale du média con­cerné et non de l’application des règles de déon­tolo­gie pub­lic­i­taire », jus­ti­fie ain­si le JDP. Se pose ain­si la ques­tion du flou juridique qui entoure ces médias dans lesquels se mêlent jour­nal­isme et con­tenus spon­sorisés par des mar­ques, sit­u­a­tion qui ouvre la voie à des dérives déon­tologiques.

Con­tac­té par Vert, Détours n’a pas don­né suite à nos deman­des d’é­clair­cisse­ments.