Analyse

Des collectifs citoyens se mobilisent pour mettre plus de climat dans les médias

Crise médiatique. Depuis plusieurs semaines, alors que les alertes du Giec passent toujours à la trappe des télévisions, radios et autres titres de presse écrite, des centaines de citoyen·es se mobilisent pour interpeller les médias sur leur manque de traitement du climat et du vivant. Voici un panorama de leurs revendications.
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Motivé par le suc­cès mon­di­al du film « Don’t Look Up », qui illus­tre les irre­spon­s­abil­ités poli­tique et médi­a­tique face à l’imminence d’une cat­a­stro­phe plané­taire (ici une gigan­tesque comète), le col­lec­tif Pour plus de cli­mat dans les médias (ou Cli­mat Médias) a lancé en jan­vi­er une péti­tion à l’attention des jour­naux télévisés (JT) et chaînes d’actualités en con­tinu : « Trop sou­vent, les sujets cli­mat et envi­ron­nement sont relégués au sec­ond plan alors que d’autres pren­nent une place démesurée », note le texte, qui rap­pelle que le trans­fert de Lionel Mes­si au club du Paris Saint-Ger­main avait éclip­sé la sor­tie du pre­mier vol­ume du dernier rap­port du Giec en août dernier.

Avec près de 5 000 sig­nataires et plus d’une cen­taine de mem­bres act­ifs sur toute la France, Cli­mat Médias cible surtout les JT de France 2 et de TF1, dont les audi­ences cumulées atteignent dix mil­lions de per­son­nes. Le col­lec­tif a dévelop­pé son pro­pre out­il de suivi pour met­tre face à leurs respon­s­abil­ités les rédac­tions en chef, imploré·es de « par­ler plus et mieux du cli­mat ».

Nom­bre de reportages con­sacrés au cli­mat dans les JT chaque mois, entre décem­bre 2013 et décem­bre 2021. Pour affich­er les détails de l’é­tude de Paul Lecler­cq, cliquez sur l’im­age. (© Paul Lecler­cq)

Vers un minimum de 20 % de couverture médiatique du climat

Pour Eva et Anne-Lise, cofon­da­trice de Quo­ta Cli­mat, c’est la sor­tie du dernier rap­port du Giec qui a fait « tilt » : « tant en août 2021 avec le pre­mier volet ou fin févri­er avec le sec­ond volet, les médias n’ont pas assez alerté le pub­lic sur le sujet ». Elles ont ini­tié une tri­bune, pub­liée dans le JDD le 12 mars, afin de réclamer un quo­ta min­i­mum de 20 % de temps médi­a­tique dédié au cli­mat et à la bio­di­ver­sité. « Actuelle­ment, [le] rôle [des médias] doit être d’amener les can­di­dats à la prési­den­tielle à nous expos­er, dans des pro­grammes com­por­tant objec­tifs chiffrés, ressources – humaines, matérielles comme finan­cières –, échéances et modes de gou­ver­nance, leurs solu­tions pour par­venir à respecter la stratégie fixée », plaident les deux jeunes femmes. Elles ont déjà reçu plus de 2 000 sou­tiens de la part de sci­en­tifiques, expert·es, jour­nal­istes, asso­ci­a­tions, entre­pris­es, citoyen·nes et poli­tiques de tous bor­ds.

Inciter la presse quotidienne régionale à en faire plus

S’appuyant sur une étude de Reporter d’e­spoirs parue en juil­let 2020, la com­mu­nauté Pro­tect Our Win­ters (ou POW – qui agrège des pratiquant·es de sports de plein-air et utilise leur pas­sion com­mune comme porte d’entrée dans la lutte con­tre la crise cli­ma­tique) a choisi un autre cré­do : la presse quo­ti­di­enne régionale (PQR). Comme l’explique son directeur, Antoine Pin : « les médias de la PQR sont la pre­mière source d’information imprimée quo­ti­di­enne en France. Mais avec près de 3 900 000 exem­plaires ven­dus par jour, ce sont surtout ceux qui évo­quent le moins le cli­mat : en 2019, cela occu­pait en moyenne 0,68 % de leurs colonnes alors qu’ils sont cen­sés relay­er ce qui se passe dans nos départe­ments et régions ». Ce con­stat est d’autant plus regret­table que la qual­ité du traite­ment est au ren­dez-vous, lorsqu’ils en par­lent : « ce para­doxe nous a poussé à agir. La presse locale peut avoir un autre rôle, surtout lors des prochaines élec­tions lég­isla­tives », ajoute Antoine Pin.

Sur son site, la com­mu­nauté Pow pro­pose un out­il pour envoy­er des mes­sages à 30 organes de PQR : plus d’une cen­taine de per­son­nes ont déjà pris part à l’ac­tion. Pour l’instant, l’accueil des jour­nal­istes con­tac­tés n’est pas des plus ent­hou­si­astes, mais une fois le con­tact établi, Antoine Pin en prof­ite pour dia­loguer de manière apaisée.

Placer la soutenabilité au cœur de l’info

Le 21 févri­er, soit une semaine avant la pub­li­ca­tion du rap­port du Giec sur l’adaptation, le mou­ve­ment Extinc­tion Rebel­lion (XR) s’est mobil­isé devant le siège de France Télévi­sions pour « alert­er toutes les rédac­tions français­es de la néces­sité de faire de l’urgence cli­ma­tique une pri­or­ité absolue de leurs lignes édi­to­ri­ales ».

Le mou­ve­ment demande aux médias « de men­er un tra­vail de fond sur les raisons de l’insoutenabilité de nos sociétés, de faire de la péd­a­gogie, et dire la vérité sur la grav­ité de la sit­u­a­tion et sur la pro­fondeur des change­ments qu’il va fal­loir opér­er si l’on veut y faire face ». À moins d’un mois du pre­mier tour de la prési­den­tielle, et alors que 2,7 % du temps de parole (d’après le Baromètre UBM d’On­clu­sive pour L’Affaire du siè­cle) est con­sacré à ce sujet, le mou­ve­ment rêve d’avoir une « cou­ver­ture médi­a­tique dédiée et pri­or­i­taire, quan­ti­ta­tive­ment à la hau­teur des enjeux, comme le font le Guardian au Roy­aume Uni ou la RTBF en Bel­gique ».

Assumer le rôle de médiateur dans le débat public

Mi-févri­er, les qua­tre ONG de l’Affaire du siè­cle (Oxfam, Notre affaire à tous, la Fon­da­tion pour la nature et l’Homme et Green­peace) lançaient un baromètre pour mesur­er la place prise par le cli­mat à l’in­térieur du débat prési­den­tiel dans 120 médias dif­férents (télévi­sion, radio, presse écrite et en ligne). Elles avaient révélé qu’entre le 8 et le 13 févri­er, les ques­tions cli­ma­tiques n’avaient représen­té que 2,7 % du « vol­ume rédac­tion­nel » con­sacré à la cam­pagne. Un pic à 12 % avait été atteint le week­end de la marche « Look up », organ­isée le 12 mars. Pour l’heure, 74 126 péti­tion­naires ont rejoint l’appel pour plus de place au cli­mat dans les débats prési­den­tiels.

Former les rédactions

Du côté des médias, en jan­vi­er dernier, l’Association des jour­nal­istes de l’environnement (AJE), celles des jour­nal­istes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) et des jour­nal­istes sci­en­tifiques de la presse d’information (AJSPI) avaient aus­si son­né l’alerte : « De la même manière que les rédac­tions ont été capa­bles de se for­mer aux enjeux san­i­taires, elles doivent se for­mer aux autres enjeux de notre temps. N’oublions pas que tout est lié : le cli­mat, la bio­di­ver­sité, l’alimentation, la san­té, la pré­car­ité… La ques­tion envi­ron­nemen­tale ne peut se résumer à l’avis de l’un sur la tech­nolo­gie éoli­enne, à l’avis de l’autre sur la chas­se à courre ou à la divi­sion de telle ou telle famille poli­tique », indi­quait leur tri­bune pub­liée dans Reporterre. Les asso­ci­a­tions y rap­pelaient que leur rôle n’est pas de dis­tribuer les bons et les mau­vais points aux candidat·es, mais bien plutôt de « sec­ouer nos rédac­tions en chef et les jour­nal­istes poli­tiques qui ali­mentent le débat pub­lic ». Pour l’heure, leurs con­sœurs et con­frères ne sont pas encore à hau­teur.

À not­er : l’autrice de cet arti­cle est mem­bre des JNE. Elle a fait par­tie des AJE et elle a signé La Tri­bune de Quo­ta Cli­mat.