Chronique

Déchets nucléaires : une histoire de consentement

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Cigeo ergo sum. Du vil­lage de Bure et de Cigéo, son pro­jet titanesque d’en­fouisse­ment de déchets nucléaires, on ne retient sou­vent que les affron­te­ments entre man­i­fes­tants et policiers. Mais l’his­toire racon­tée dans Cent Mille Ans par les deux jour­nal­istes Gas­pard d’Al­lens et Pierre Bon­neau, et la dessi­na­trice Cécile Guil­lard, est bien plus longue et com­plexe que ça.

Elle débute à la fin des années 1980 quand, après avoir dû renon­cer à immerg­er ses déchets en pleine mer, la fil­ière nucléaire française se met en quête d’un endroit pour les enter­rer. Le pro­jet de cen­tre indus­triel de stock­age géologique (Cigéo), piloté par l’A­gence nationale pour la ges­tion des déchets radioac­t­ifs (Andra), doit per­me­t­tre de stock­er 85 000 m³ de déchets dits « ultimes » pen­dant 100 000 ans. Ceux-ci représen­tent seule­ment 3 % du vol­ume total de déchets mais con­cen­trent 99,8 % de leur radioac­tiv­ité.

Sym­bole de l’hy­per-rural­ité décli­nante, Bure (Haute-Marne) n’a pas été seule­ment choisi pour les car­ac­téris­tiques de son sous-sol. En abreuvant finan­cière­ment ce ter­ri­toire déshérité « jusqu’à se ren­dre indis­pens­able », la fil­ière nucléaire s’est lancée dans ce que Gas­pard d’Al­lens et Pierre Bon­neau appel­lent « la fab­rique du con­sen­te­ment ».

Mais les mil­lions déver­sés n’ont pas fait taire la con­tes­ta­tion et Bure est petit à petit devenu le théâtre d’une sidérante répres­sion. Entre l’été 2017 et début 2019, plus de 27 inter­dic­tions de ter­ri­toire, des dizaines de mois de prison avec sur­sis et qua­tre peines de prison ferme ont été pronon­cées. La BD s’achève en sep­tem­bre 2019 sur une note d’e­spoir : « Mal­gré la répres­sion, la lutte con­tin­ue à Bure. Elle se réin­vente ». Entre temps, l’An­dra a sol­lic­ité une « déc­la­ra­tion d’u­til­ité publique » (DUP), qui lui per­me­t­tra d’ex­pro­prier les paysans récal­ci­trants.

Cent Mille Ans. Bure ou le scan­dale enfoui des déchets nucléaires, Pierre Bon­neau, Gas­pard d’Al­lens et Cécile Guil­lard, éd. la Revue dess­inée (Seuil), 2020, 19 €.