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Comment la loi européenne sur les matières premières est devenue une aubaine pour l’aéronautique et l’armement

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Esprit cri­tique. Cen­sée sécuris­er l’approvisionnement de l’Europe en matéri­aux essen­tiels à la tran­si­tion énergé­tique, la future loi européenne sur les matières pre­mières cri­tiques va encour­ager l’extractivisme, y com­pris au prof­it d’industries très prob­lé­ma­tiques, alerte un rap­port.

Même les tech­nolo­gies «vertes» ont leurs points noirs, le prin­ci­pal étant leur vorac­ité en métaux et min­erais, dont la plu­part sont extraits et raf­finés hors d’Europe à grands frais envi­ron­nemen­taux et soci­aux. Comme le rap­pelle le bureau envi­ron­nemen­tal européen, on estime par exem­ple que la fab­ri­ca­tion d’une voiture élec­trique néces­site qua­tre fois plus de cuiv­re que son équiv­a­lent ther­mique, sans compter l’utilisation de lithi­um, de graphite, de cobalt, de nick­el…

Pour accroître sa sou­veraineté – et relo­calis­er une par­tie de ces pol­lu­tions – l’Union européenne veut extraire sur son ter­ri­toire 10 % de sa con­som­ma­tion annuelle totale de matières pre­mières «stratégiques» (con­tre 3 % aujourd’hui), d’en traiter et en raf­fin­er 50 % et d’en recy­cler 45 % d’ici à 2030.

Pour y par­venir, les États et le Par­lement européen négo­cient actuelle­ment les derniers élé­ments d’une une loi sur les matières pre­mières cri­tiques (Crit­i­cal Raw Mate­ri­als Act, CRMA dans le jar­gon brux­el­lois). Celle-ci prévoit d’offrir des facil­ités finan­cières et des procé­dures régle­men­taires accélérées à cer­taines activ­ités minières. Ces pro­jets d’«intérêt pub­lic supérieur» seront égale­ment autorisés à con­tourn­er plusieurs normes envi­ron­nemen­tales telles que la direc­tive-cadre sur l’eau et les direc­tives sur les habi­tats et les oiseaux. La Com­mis­sion prévoit par ailleurs de soutenir des pro­jets «stratégiques» hors d’Europe.

Carte des pays pro­duc­teurs de matières pre­mières cri­tiques © Com­mis­sion européenne

Présen­tée comme un mal néces­saire pour garan­tir la tran­si­tion vers des tech­nolo­gies bas car­bone, la CRMA con­tient beau­coup trop de largess­es pour attein­dre sa cible, aler­tent l’Observatoire des multi­na­tionales et Cor­po­rate Europe Obser­va­to­ry dans leur enquête dif­fusée aujourd’hui.

Les deux asso­ci­a­tions y détail­lent par exem­ple com­ment les indus­tries de l’aéronautique et de l’armement ont influ­encé la loi. Elles sont ain­si par­v­enues à ajouter l’aluminium et le titane dans la liste offi­cielle des matéri­aux cri­tiques alors qu’ils sont d’une util­ité lim­itée (surtout le titane) pour la tran­si­tion énergé­tique.

L’enquête souligne d’autre part que la CRMA ne con­tient aucune dis­po­si­tion per­me­t­tant de suiv­re les usages qui seront faites de ces matéri­aux «cri­tiques» ni de pri­oris­er les appli­ca­tions «vertes». Dit autrement,«tous les pro­jets d’extraction et d’approvisionnement, quelles que soient les util­i­sa­tions futures des métaux, béné­ficieront du même sou­tien pub­lic et des mêmes dérégu­la­tions envi­ron­nemen­tales», pointe l’enquête.

Enfin, la néces­saire sobriété est la grande oubliée du texte, qui ne con­tient «aucun objec­tif con­traig­nant de réduc­tion des matières pre­mières». Les deux asso­ci­a­tions craig­nent que le texte ait des «effets négat­ifs directs sur la tran­si­tion écologique en con­tribuant à une aug­men­ta­tion incon­sid­érée de la pro­duc­tion de tous les métaux listés et à leur util­i­sa­tion dans des secteurs nocifs pour l’environnement».

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Vue satel­lite d’une mine de lithi­um en Bolivie. © Coor­de­nação-Ger­al de Obser­vação da Ter­ra / INPE / Flickr