Le temps des c(e)rises. Alors que la France traverse un épisode de chaleur anormale, ce faux printemps a des conséquences parfois insoupçonnées sur la biodiversité, et notamment sur les végétaux.
La vigne qui bourgeonne en Occitanie, les plants de colza en début de floraison dans le Puy-de-Dôme, des fleurs sur un cerisier dans le Vaucluse… la flore est sens dessus-dessous en raison d’« une douceur persistante remarquable », des mots de Météo-France, qui lui fait croire à la fin de l’hiver. Les dix derniers jours de 2022 et les dix premiers de 2023 ont été les plus chauds enregistrés respectivement en décembre et en janvier en France.
Cet épisode inédit par sa durée et son intensité n’est pas sans effet sur la biodiversité. Les végétaux (mais aussi les animaux) répondent aux stimuli de leur environnement, dont la température, pour décider de la reprise des activités après la période de dormance. Dupés par les températures anormales, certains, comme l’abricotier précoce ou la menthe, considèrent que l’hiver est passé, qu’il est temps d’ouvrir les bourgeons et de sortir d’hivernation.
D’autres végétaux répondent à d’autres paramètres, notamment la durée du froid. Il faut à un pommier entre 500 et 1 500 heures sous sept degrés pour considérer que l’hiver est passé. Avec l’épisode de grand froid début décembre, de nombreux arbres ont jugé que c’était le cas. Enfin, certains végétaux se basent sur la photopériode, c’est-à-dire la durée du jour, pour déterminer la fin de l’hiver. Au-delà de la flore, la chaleur hivernale peut perturber la migration d’oiseaux, l’hivernation (la phase de dormance hivernale) de nombreux insectes ou vertébrés, et faciliter la survie de parasites (comme les pucerons) qui abîmeront les cultures.
Ces épisodes de douceur peuvent se révéler aussi dangereux que les canicules ou les sécheresses estivales. En cas de gel tardif, les fleurs et les feuilles ne sont plus protégées par les bourgeons, ouverts plus tôt dans l’hiver à cause des températures clémentes, et risquent ainsi de brûler. En avril 2021, un épisode de gel avait causé plus de quatre milliards d’euros de dégâts (Le Parisien). « Une sécheresse et une canicule peuvent faire plusieurs milliards d’euros de dégâts, on est vraiment dans les mêmes échelles. Et pourtant, on en parle beaucoup moins », explique à Vert l’agroclimatologue Serge Zaka. Ce scénario n’est pas exclu cette année.
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« Le problème, c’est que les événements de douceur hivernale sont agréables pour l’Homme et permettent des économies d’énergie ou de boire des verres en terrasses. Et comme on ne voit pas l’impact sur la biodiversité avant plusieurs mois, on ne se rend pas compte que c’est une bombe à retardement », détaille l’expert. Cette vision anthropocentrée empêcherait médias, responsables politiques et citoyen·nes de mesurer la gravité de ces épisodes.
« Ce qui est inquiétant, c’est surtout la répétition des événements climatiques qui impactent les écosystèmes plusieurs fois par an alors qu’avant, c’était ponctuel, s’alarme l’agroclimatologue. On assiste à une fatigue des écosystèmes, qui commencent à sentir que le climat dans lequel ils ont prospéré n’est plus le même et ne leur est pas toujours favorable. » Cette situation bouleverse les récoltes : les agriculteur·rices avancent les dates de semis et de ramassage ou adaptent les variétés plantées pour éviter que les aléas climatiques ne puissent causer trop de dégâts. En pleine nature, ces phénomènes extrêmes peuvent, à long terme, fragiliser et entraîner la mort des écosystèmes.