« Brianna, merci d’avoir été une bonne électrice en 2020. Maintiens ton super score de vote [« voting record »] en votant à l’élection générale du 8 novembre ! » signé Judy, « volontaire de l’Environmental voter project ». Comme Brianna, des milliers de personnes ont reçu ce sobre et intrigant message rédigé à la main au dos d’une carte postale marquée « merci de voter ». À quelques jours de l’élection de mi-mandat qui doit renouveler tous les sièges de la Chambre des représentants, un tiers de ceux du Sénat, les gouverneurs de 36 États sur 50 et pratiquement toutes les assemblées locales, les préconisations de vote se font plus nombreuses.
Aucune mention d’un candidat, ni de programme : Judy voudrait simplement que les citoyens votent. Mais seule une poignée de personnes est ciblée par ces messages, et c’est là toute la nuance. D’ici au 8 novembre, les 6 000 volontaires de l’Environmental voter project (EVP) auront appelé, sollicité par mail et criblé de publicités plus de cinq millions de personnes identifiées comme des « environnementalistes » qui ne mettaient pas ou plus les pieds dans un bureau de vote.
« Créer un raz de marée électoral vert »
« Les politiciens tiennent avant tout à gagner des élections, et ils vont là où vont les votes, résume Nathaniel Stinnett, fondateur de cette organisation à but non lucratif créée en 2015. Notre but ultime est de créer un raz de marée électoral “vert’” si important que les politiciens de tous les partis n’auront plus d’autre choix que de s’assurer que leurs actions reflètent les priorités des électeurs “verts” ».
Et si l’on écoute les sondages, de plus en plus de citoyen·nes des Etats-Unis auraient une fibre un tant soit peu écolo. Pour deux électeur·rices sur cinq, le positionnement d’un candidat sur le réchauffement climatique serait « très important » pour faire son choix dans l’isoloir, selon un récent rapport du Centre pour la communication sur le changement climatique de l’université George Mason (Virginie).
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Hissé sur un vélo rouge orné d’un fanion « Climate justice now » (la justice climatique, maintenant), l’activiste Collin Rees savoure ces chiffres en augmentation. Le directeur de campagne d’Oil Change international, un groupe de recherche et de plaidoyer qui milite pour la sortie des énergies fossiles, participe à trois jours de manifestations devant la Banque mondiale à Washington (D.C.) pour alerter sur l’inertie politique en matière de climat. Objectif : déstabiliser la rencontre annuelle des ministres de l’économie du G20 ces 12 et 13 octobre.
Au programme : perturbation du trafic à l’aide d’une farandole de cyclistes, mais aussi interruption d’une conférence de presse à grand renfort de klaxons. Selon Collin Rees, la prise de conscience – et par extension, la mobilisation – passeront par ces actions directes qui résonnent désormais avec la réalité de nombreux·ses concitoyen·nes « Je pense que les gens voient de plus en plus les impacts du changement climatique dans leurs vies de tous les jours. Beaucoup d’États ont été touchés par des ouragans, incendies ou encore inondations. »
Selon le think tank Green 2.0, les électeur·rices racisé·es portent une attention toute particulière aux questions climatiques, étant parmi les populations les plus touchées par ces fléaux. Pour son directeur, Andres Jimenez, le changement climatique va faire bouger les minorités pour ce cycle électoral. Ce sont elles et eux qui ont « le pouvoir d’enclencher un virage et d’attaquer de front ces questions ».
Record d’investissement dans la campagne, mais pas pour le climat
Ces considérations électorales ne passent pas complètement inaperçues. Un groupement d’associations progressistes a lancé une campagne de dix millions de dollars pendant douze semaines auprès des jeunes et des communautés racisées. Ces spots publicitaires font la promotion de l’Inflation Reduction Act : une loi anti-inflation passée avec difficulté par le gouvernement Biden et adoptée par le Congrès en août 2022. Le volet climatique de la loi prévoit 370 milliards de dollars (soit autant d’euros) pour la transition énergétique – majoritairement via la construction d’éoliennes, de panneaux solaires et de voitures électriques. Il a pour ambition de réduire de 40% les émissions de CO2 des Etats-Unis d’ici à 2030.
Mais les dix millions engagés pour faire la promotion de cette loi font pâle figure dans le paysage de la publicité électorale. Année de tous les records, les estimations évaluent à dix milliards de dollars le montant dépensé pour les publicités sur toute la campagne.
Le climat n’est, lui, quasiment jamais évoqué dans ces réclames. La chaîne de télévision Spectrum News a recensé huit clips de campagnes sur 126 qui mentionnaient le changement climatique (toutes sauf une provenaient du camp démocrate), soit 6,3 % du total.
Professeur en communication de l’université George Mason, Edward Maibach reconnaît que l’environnement n’est pas un thème décisif dans cette campagne. « Les Américains sont principalement inquiets pour l’économie, l’inflation [qui, en juin, a atteint 9,1% sur un an, en faisant la plus forte hausse des prix depuis 1981, NDLR] et la criminalité ». Même les Démocrates qui auraient pu capitaliser sur le changement climatique, notamment au travers de l’Inflation reduction act, qui est présenté comme unique et révolutionnaire dans ce pays, ne se mouillent que très peu.
Le camp démocrate préoccupé par la question de l’avortement
Le spécialiste de la communication rappelle que la décision de la Cour suprême de faire disparaître la protection du droit à l’avortement au niveau fédéral en juin dernier a cristallisé les débats. Ce qui pourrait avoir pour conséquence d’amener de nouvelles électrices et électeurs aux urnes. « Ceux qui sont contre la décision de la Cour suprême voteront pour les Démocrates, qui sont les pro-action climatique », prédit Edward Maibach.
Professeur de politiques publiques à l’université Duke (Caroline du Nord), Geoffrey Henderson, constate une évolution dans l’opposition classique entre économie et protection de l’environnement. « La conversation a changé ces dernières années, notamment grâce au travail autour de l’Inflation reduction act. Les Démocrates commencent à voir les fruits de leurs politiques climatiques : on voit les avantages qu’elles ont pour l’économie – notamment en termes de création d’emplois, de santé publique et la facture des services publics ». Malgré ces avancées, peu de candidat·es ont fait du climat leur cheval de bataille.
Pour Geoffrey Henderson : « une majorité permettrait aux Républicains de voter des lois qui empêcheraient des villes comme Durham [où se trouve l’université de Duke, NDLR] de prendre des initiatives pour lutter contre le changement climatique.» Dans une vingtaine d’Etats contrôlées par les Républicains, des lois « préemptives » empêchent les villes de se passer du gaz naturel pour leur chauffage, par exemple. Selon le professeur de politiques publiques, l’American gas association, un des lobbies des industriels de l’énergie, serait derrière cette campagne.