Reportage

À la COP28 de Dubaï, j’ai trouvé LA technologie qui nous sauvera de la crise climatique. Ou presque.

Notre journaliste Loup Espargilière a déambulé entre les gratte-ciels de Dubaï et dans les allées de la COP28 à la recherche d’une solution miracle pour le climat. Il n’a pas été déçu.
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Depuis que j’ai posé le pied sur le sol émi­rati pour la pre­mière fois, ce même sol sur lequel un prési­dent de la com­pag­nie pétrolière nationale peut aus­si diriger un géant des renou­ve­lables et un som­met mon­di­al sur le cli­mat, un sen­ti­ment m’habite : celui que la solu­tion à tous nos prob­lèmes se trou­ve sur cette terre de tous les pos­si­bles.

Les esprits cha­grins gein­dront que cette COP28 grouille de lob­by­istes de l’industrie fos­sile. Moi, j’y vois autant d’ingénieux con­tem­po­rains prêts à retrouss­er leurs manch­es pour répar­er avec nous les dégâts. Qu’ils prévoient de con­tin­uer à causer, certes.

Sur le tracé du métro qui me mène au site de la dernière expo­si­tion uni­verselle, enceinte de la COP28, je suis escorté par une foule de ban­deaux géants qui me promet­tent voitures, loge­ments et smart­phones plus verts que nature. On ne m’avait donc pas sur­ven­du la légendaire hos­pi­tal­ité émi­ratie.

Arrivé à la COP, je délaisse assez rapi­de­ment la «zone bleue», lieu de sopori­fiques trac­ta­tions sur d’aussi pénibles «pertes et dom­mages» et autre «bilan mon­di­al», pour me tourn­er vers la «zone verte», ou «green­zone», dont le nom fait déjà frétiller le Bertrand Pic­card qui est en moi.

Vert l’infini et au-delà

Oh qu’elle est green, cette zone. De colos­saux pan­neaux solaires en forme de para­sols, qu’on croirait sor­tis d’un film d’anticipation, ombra­gent mes pre­miers pas.

Je suis immé­di­ate­ment sub­jugué par le logo de la COP28. Ce cer­cle par­fait d’un bleu-vert pro­fond, que ne renierait pas un média sur l’écologie, se grave instan­ta­né­ment sur ma rétine. Reflet d’Émirats tran­sis de tran­si­tion, on y devine la sil­hou­ette d’un pur-sang arabe, d’un fau­con­nier, d’un dro­madaire ou d’un dugong — cette vache des mers assez bien élevée pour ne rot­er aucun méthane.

Un trio de pan­neaux pho­to­voltaïque se tire la bourre avec deux triplettes d’éoliennes. Et tant pis si l’électricité du pays est pro­duite à 97% par du char­bon et du gaz. De l’air ! Signe que nous ne sommes pas au pays des décrois­sants, un avion (vert, quoi d’autre ?) s’envole vers le soleil.

© Bea­ta Zawrzel / Nur­Pho­to via AFP

Les bons conseils de McKinsey

Au détour d’une carte, mon regard est hap­pé par le «cen­tre de tech­nolo­gie et d’innovation». Mais avant de me ren­dre en ce lieu si promet­teur, je fais défil­er sur mon smart­phone le menu des innom­brables con­férences organ­isées par les parte­naires plus ou moins offi­ciels de l’événement. Mon cœur bal­ance : dois-je aller écouter Microsoft et Google devis­er sur «le rôle remar­quable de l’IA dans la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique» ? Ou McK­in­sey «éclair­er le lien vital entre la tech­nolo­gie et l’ac­tion en faveur du cli­mat» ?

Les bons con­seils prodigués par le géant améri­cain pen­dant des décen­nies à BP, Exxon Mobil, Gazprom, Sau­di Aram­co et autres ogres du pét­role ont l’air d’avoir plutôt bien marché pour eux, après tout. C’est finale­ment un événe­ment sur l’agriculture régénéra­trice organ­isée par les géants des pro­duits phy­tosan­i­taires (ne dites pas «pes­ti­cides») Bay­er, Syn­gen­ta ou UPL qui retien­dra mon atten­tion.

Une fois repu de toutes ces bonnes idées, je file en direc­tion de l’un des deux hangars dédiés aux vraies solu­tions, faites de processeurs, de câbles et de bat­ter­ies au lithi­um. Accueil­li en ce lieu par un SUV élec­trique de 2,6 tonnes qui me promet «des lende­mains plus verts», je réalise que le Graal ne doit plus se trou­ver bien loin.

Dans la «green­zone» de la COP28 sur le cli­mat à Dubaï, le Vin­fast VF9, un SUV élec­trique de 2,6 tonnes, me promet «des lende­mains plus verts». © Loup Espargilière / Vert

Je ne sais bien­tôt plus où don­ner de la tech. À ma droite, une mus­cle car élec­trique type Mus­tang des années 1960, bradée à un demi-mil­lion de dol­lars. À ma gauche, une for­mule 1 élec­trique (encore une). Même la police d’Abu Dhabi, l’émirat voisin de Dubaï, est «durable» ! Un polici­er en uni­forme me jure que leurs motos sont désor­mais élec­triques et que leurs for­ma­tions sont don­nées à dis­tances grâce à la réal­ité virtuelle. Durable, on vous dit !

Le stand de la «Police durable» d’Abu Dhabi © Loup Espargilière / Vert

Quand soudain…

Je touche enfin au but. Hap­pé par sa divine lumière, je me jette à genoux devant cette maque­tte de yacht élec­trique «neu­tre en car­bone» de la mar­que polon­aise Sun­reef. Il fal­lait y penser : plutôt que de chang­er le mode de vie des plus nan­tis, il suff­i­sait d’électrifier leurs excès ! Eure­ka !

Je demande aux spé­cial­istes du col­lec­tif Yacht CO2 track­er, qui suiv­ent au quo­ti­di­en les péré­gri­na­tions mar­itimes des meilleurs d’entre nous, de me con­firmer qu’il s’agit bien du mir­a­cle que l’humanité attendait. «C’est de la merde», me répond-on, odieuse­ment. On m’explique que ces cata­ma­rans seraient — soi-dis­ant — équipés de deux moteurs diesel de 600 chevaux, et que leur faible autonomie les can­ton­nerait aux côtes ; de quoi en faire des con­cur­rents des voiliers plutôt que des méga yachts.

© Loup Espargilière /Vert

Contraint et forcé à écouter les scientifiques

Dépité, je com­mence à me deman­der si la tech­nolo­gie nous sauvera bel et bien comme promis. Ne serait-ce que du green­wash­ing ? De l’éco-esbroufe ? Ren­con­trée près du pavil­lon dédié à la cryosphère, la glacio­logue Heï­di Sevestre, cinq COPs à son act­if, tente de me remon­ter le moral. Elle estime juste­ment que «l’un des intérêts de la COP, c’est que tout le monde soit choqué par ce green­wash­ing». À l’en croire, si la com­mu­ni­ca­tion de cer­taines entre­pris­es est si exces­sive, «c’est qu’elles se ren­dent compte que ça ne marche plus», la faute au «radar à bull­shit» que nous auri­ons dévelop­pé.

Fichu pour fichu, je décide de me rabat­tre sur la parole d’autres sci­en­tifiques. De celles et ceux du Giec. Si leur inter­minable rap­port estime que cer­taines tech­nolo­gies, telles que celles qui pro­duisent les éner­gies renou­ve­lables, sont indis­pens­able, une grande par­tie de la solu­tion serait à chercher ailleurs : du côté de la pro­tec­tion des écosys­tèmes, d’une agri­cul­ture vivante, du respect des peu­ples autochtones, de la sobriété, de la jus­tice sociale ou de la démoc­ra­tie.

Je vois mal com­ment rouler à 200km/h avec toutes ces choses-là et les affich­er sur mon Insta­gram mais, faute de mieux, je suis prêt à essay­er.