Ô loup. Après un retour remarqué ces 30 dernières années, la population française de loups gris n’augmente plus. Une tendance qui ne doit pas masquer des prédations toujours en hausse dans les nouveaux endroits colonisés par l’espèce. Décryptage.
Alors qu’il était encore premier ministre, Michel Barnier avait promis d’en faire «un moment clé pour augmenter la capacité de prélèvement» de loups en France. Il n’en sera rien : la réunion du Groupe national loup (le GNL, qui rassemble les acteurs concernés par l’animal) du 16 décembre dernier a acté une diminution du nombre d’animaux qui pourront être abattus en 2025.
D’après les informations communiquées par la préfecture Auvergne-Rhône-Alpes, qui coordonne le GNL, le plafond annuel de prélèvements passe à 192 animaux en 2025, contre 209 en 2024. Cette décision de l’État n’a rien d’étonnant, car elle se base sur la population estimée de loups dans le pays, qui est moins flamboyante ces dernières années.
Une population qui se stabilise
L’histoire est bien connue : totalement éradiqué du territoire français au début du XXème siècle, le loup gris est revenu naturellement à partir de 1992 en traversant les Alpes depuis l’Italie. Depuis, il est en pleine progression : en à peine 30 ans, la population française est passée de quelques dizaines d’individus à près d’un millier.
Mais ça, c’était avant : «Depuis quelques années, on observe une tendance à la stabilisation», souligne Cyril Milleret, chercheur en écologie quantitative au CNRS et spécialiste des grands prédateurs. Une tendance que confirment les dernières estimations présentées par l’Office français de la biodiversité (OFB) lors de la réunion du Groupe national loup.
Pour l’hiver 2023-2024, l’État recense 1 013 canis lupus sur tout le territoire français, soit une estimation similaire aux années précédentes : 1 003 en 2023, 1 096 en 2022. Seule vraie nouveauté en 2024, une meute de loups s’est installée au sud du massif Central.
Comment est calculé le nombre de loups en France ?
Le loup est un animal discret, qui vit sur de très vastes territoires. Le recenser n’est pas une mince affaire : chaque hiver, plus de 5000 bénévoles du réseau loup-lynx (coordonné par l’OFB) collectent des traces de l’animal (excréments, poils, urine, sang…). Analysés en laboratoire, ces indices permettent d’identifier l’ADN des individus, pour ne pas les compter plusieurs fois. Les données sont ensuite intégrées à un modèle mathématique qui permet d’estimer la taille globale de la population. Le nombre de 1013 loups annoncé par l’État n’est donc pas un chiffre précis, mais une estimation moyenne.
Pour Cyril Milleret, ce ralentissement «est corrélé à l’augmentation du plafond de loups pouvant être tués chaque année, même si des analyses supplémentaires sont nécessaires pour prouver un lien direct de cause à effet». Depuis 2020, l’État français a rehaussé l’abattage annuel à 19% de la population estimée de loups.
Ces abattages légaux s’ajoutent à d’autres dangers pour l’animal : braconnage, maladies, conflits… Selon nos informations, en 2024 le taux de mortalité a dépassé 34%, soit le seuil au-delà duquel «toute population de loups déclinera et, si elle est maintenue sur cette tendance, s’éteindra de manière certaine», selon une expertise menée en 2017 par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS, l’ancêtre de l’OFB).
«Il faut attendre d’avoir une tendance sur plusieurs années, nuance Nicolas Jean, de la direction des grands prédateurs terrestres à l’OFB. Sur le plan biologique, avec environ 1 000 loups, une aire de présence significative et des apports des populations italiennes et allemandes, la situation n’est pas inquiétante.»
Des attaques en hausse… dans les territoires les moins préparés
Si le nombre de loups stagne, ce n’est pas le cas des attaques contre les troupeaux. D’après les données de la préfecture Auvergne-Rhône-Alpes, les prédations ont augmenté de 5% sur un an, faisant 10% de victimes en plus. Cette hausse est tirée par quelques individus dispersés sur le front de colonisation, «des territoires sans historique de protection, où les troupeaux sont vulnérables», explique Nicolas Jean.
À l’inverse, les attaques sont en baisse dans les Alpes, lieu historique où le loup s’est durablement implanté depuis sa recolonisation. Parcs électrifiés, chiens de protection, présence humaine renforcée… un constat qui «traduit le bien fondé des mesures de protection», selon Nicolas Jean.
Ces attaques cristallisent pourtant les tensions autour de la présence du loup. Dans un communiqué daté du 13 décembre, la Fédération nationale ovine a dénoncé un «abandon» des éleveurs face à la diminution du nombre de prélèvements autorisés pour 2025. En novembre 2024, plusieurs organisations agricoles ont même demandé à l’État d’«augmenter les quotas de prélèvement pour pouvoir maintenir la population à 500 loups maximum».
Ces débats interviennent dans un contexte peu favorable pour l’animal. Le 3 décembre, les Etats membres de la Convention de Berne ont approuvé le déclassement du statut de protection de l’espèce (notre article). L’Union européenne pourrait à son tour faire passer l’animal de «strictement protégé» à «protégé», ouvrant la voie à une hausse des abattages dans certains pays.