La quotidienne

Une gigatonne de plumes ou de plomb ?

Chères toutes et chers tous,

🐾 Cette semaine, à l'occasion du congrès mondial de l'Union pour la conservation de la nature (UICN) vous pourrez lire chaque jour des articles consacrés à la biodiversité et aux liens entre le vivant et le climat, et une galerie de portraits d'espèces qui raconteront les bouleversements en cours.


Il est difficile de connaître le poids réel de la biodiversité, mais l'on sait que rien n'est plus lourd que le tribut que nous faisons payer au vivant.


De la difficulté de mesurer la destruction du vivant

Le vivant décline, certes, mais à quel point ? C'est la question à un million d'espèces à laquelle tentent difficilement de répondre scientifiques et spécialistes de la biodiversité.

-68% entre 1970 et 2016. Ce chiffre, annoncé il y a un an par le WWF dans un rapport, fait froid dans le dos. Son « indice planète vivante » laisse apparaître un déclin brutal des animaux terrestres. Pour l'obtenir, ses spécialistes ont suivi 20 811 populations issues de 4 392 espèces de vertébrés. Un échantillon conséquent mais bien trop modeste pour mesurer le déclin de l'ensemble du vivant.

Tout d'abord, le nombre d'espèces animales et végétales connues fait toujours débat, alors que seules 2,2 millions d'entre elles ont été répertoriées. Une étude de 2011 a proposé le chiffre de 8,7 millions. C'est l'estimation qu'a choisi de retenir l'IPBES, vaste organisation scientifique internationale souvent qualifiée de « Giec de la biodiversité ».

En 2019, elle a rendu un vaste rapport qui fait la synthèse de 15 000 publications scientifiques sur le sujet. Depuis 1900, indique le document, l'abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d'au moins 20 %.

 Cliquez sur l'image pour l'afficher en grand © IPBES

Outre la taille des populations qui décroît, les espèces sont de plus en plus menacées voire victimes d'extinction. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont en danger. Les données sont plus incertaines pour les insectes. « Environ 1 million d'espèces animales et végétales sont aujourd'hui menacées d'extinction, notamment au cours des prochaines décennies » alerte l'IPBES.

Si l'évolution précise des populations de chaque espèce est tout à fait impossible à mesurer, la tendance est indubitable. Les activités humaines, indique encore l'IPBES, déciment les espèces à un rythme « des dizaines à des centaines de fois supérieur à celui des 10 derniers millions d'années ». Seule solution : réduire drastiquement la pression sur les écosystèmes.

• Mercredi, l'assemblée des membres de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a largement adopté une motion qui proposait un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes. Il faut désormais que les Etats se tournent vers l'Autorité internationale des fonds marins pour exiger ce moratoire. Or, la France s'est abstenue de soutenir cette motion. Comme l'a rappelé Actu-environnement, le 5 mai dernier, Jean Castex avait envoyé à ses ministres une circulaire au sujet de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins. Parmi les priorités, le document plaidait pour « valoriser les ressources des grands fonds marins en lien avec le potentiel industriel français ». - Actu-environnement

• Jeudi, à un journaliste qui lui demandait s'il prévoyait d'amorcer la fin de l'industrie du charbon, le premier ministre australien Scott Morrison l'a assuré : « Nous continuerons de miner [...] pendant encore longtemps ». Que l'on se rassure, cette activité se fera d'une manière « bien plus respectueuse pour le climat ». Publiée la veille dans Nature, une étude indiquait que l'Australie devrait laisser 89% de son charbon dans le sol pour espérer contenir le réchauffement à moins de 1,5°C d'ici la fin du siècle.

Le pipit farlouse, taclé des champs

C’est la loose. Petit oiseau des champs, le pipit farlouse a perdu les deux tiers de ses effectifs en moins de 20 ans, devenant l’espèce la plus en déclin en France.

Son pelage, strié de brun et sans marque distinctive, le fait passer inaperçu dans les champs et les prairies. Mais le pipit farlouse se distingue par son cri, un sifflement aigu qui fait «pip-it» et dont il tire son nom. Un son de moins en moins courant alors que sa population a chuté de 66% entre 2001 et 2019. 

Un triste record qui lui vaut d’être classé « espèce vulnérable » sur la liste rouge française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), signe d’« un très fort déclin de l’espèce », indique à Vert Benoît Fontaine, coordinateur national du programme Stoc (Suivi temporel des oiseaux communs) qui analyse l’évolution des oiseaux en France depuis 1989.

Un pipit farlouse (Anthus pratensis) © Marie-Lan Taÿ Pamart

Si le pipit farlouse s’étiole plus rapidement que certains oiseaux semblables, c’est qu’il cumule les facteurs de risques. Plutôt septentrionale, cette espèce souffre à la fois de la transformation du milieu agricole et du réchauffement climatique. Presque exclusivement insectivore, le petit passereau subit également le déclin des populations d’insectes, notamment dû à l’usage massif de pesticides. Cette perte de ressources alimentaires pèse davantage sur le pipit que sur d’autres oiseaux à l’alimentation plus variée.

Enfin, le pipit farlouse recherche des milieux variés (prairies humides, bocages, etc) pour se nicher et se nourrir. Alors que les campagnes s’artificialisent, cette « mosaïque de milieux est de plus en plus rare à trouver », explique Benoît Fontaine. Par opposition, des espèces comme l’alouette des champs se contentent de milieux plus uniformes.

En France, le déclin des populations d’oiseaux est général, avec des chiffres plus alarmants que dans le reste du monde. Selon l’UICN, 32% des espèces d’oiseaux nicheurs y sont menacés d’extinction contre 12% à l’échelle mondiale.

Les martinets se cachent pour dormir

Martine et les martinets. Dans son roman graphique Les martinets se cachent pour dormir, l’italien Franco Sacchetti nous embarque en direction du ciel où les martinets noirs jamais n’arrêtent de battre de l’aile.

Tout débute par une chute. Zoé, 13 ans, est en vacances à Trieste, chez sa grand-mère, quand elle aperçoit une « hirondelle » heurter un câble électrique et terminer sa course sur l’asphalte devant les pneus d’une voiture. Zoé se précipite pour sauver le jeune oiseau, qu’elle baptise « Faucille ». Aiguillée par la voisine, une professeure de biologie à la retraite, et par les vétérinaires d’un centre de secours pour apodidés, la jeune fille se passionne pour les martinets noirs.

Et il y a de quoi ! Ces oiseaux sont les plus rapides du ciel – jusqu’à 200 km/h en piquet ; ils gobent 20 000 insectes par jour ; parcourent jusqu’à 1 000 km par jour pour rejoindre l’Afrique australe chaque année. Lorsqu’ils quittent le nid, les jeunes ne touchent plus terre pendant deux ans, pas même pour dormir, avant de nidifier à leur tour en Europe. Acrobates hors pair à la ligne élancée, ces infatigables ont inspiré aux humains certains de leurs engins volants et une fascination méritée dont Zoé se fait l’écho.

Menacés par un urbanisme moderne qui ne leur laisse ni trou de boulin, ni tuile incurvée pour y construire un nid, et par les pesticides déversés sur nos champs, les apodidés auraient besoin qu’on leur redonne une place au cœur de nos cités. C’est en tous cas l’avis de l’auteur Franco Sacchetti, architecte de formation, qui signe un récit attachant, précis et joyeux.

Les martinets se cachent pour dormir, Franco Sacchetti, Editions la Salamandre, 2021, 18€

Une chronique signée Juliette Quef

Combien pèse le vivant ?

Qu'est-ce qui pèse le plus lourd : une gigatonne de plomb ou de plumes ? En 2018, pour la première fois, des chercheurs ont estimé le poids de tout le vivant sur Terre. Il a été mesuré en milliards de tonnes de carbone (Gt C), ce qui est l’élément chimique le plus abondant. Les auteurs de l’étude précisent toutefois qu’il existe d’énormes incertitudes sur la comptabilisation de certaines espèces, notamment les bactéries et les micro-organismes qui pourraient être dix à treize fois plus nombreux que les estimations.

Cliquez sur l'image pour l'afficher en grand © Justine Prados / Vert

Au-delà du poids prédominant des végétaux, l’étude fait apparaître l’immense influence des humains puisque la masse des mammifères est presque uniquement constituée d’humains et de bétail. Autre enseignement : les humains ne pèsent pas bien lourd comparés à certains autres animaux : la masse des arthropodes (insectes, arachnides et crustacés) est 20 fois supérieure à la nôtre.

Cliquez sur l'image pour l'afficher en grand © Justine Prados / Vert