Décryptage

Et la Palme d’or du tournage écolo revient à…

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Ça tourne rond. Depuis 2022, l’association Eco­prod récom­pense à Cannes des longs-métrages «pro­duits de la manière la plus éco-respon­s­able pos­si­ble». Pour l’édition 2024, trois films français ont été primés.

Le roman de Jim des frères Lar­rieu, Maria de Jes­si­ca Palud et Niki de Céline Sal­lette : ce ven­dre­di 17 mai pour sa troisième édi­tion, le prix Eco­prod a dis­tin­gué ces films présen­tés lors de la 77ème édi­tion du fes­ti­val de Cannes pour leurs efforts de réduc­tion des impacts écologiques lors des tour­nages.

Remise depuis 2022, cette récom­pense témoigne de la prise de con­science pro­gres­sive de ces enjeux sur les tour­nages. «Cannes, le plus grand fes­ti­val de ciné­ma au monde, est l’endroit idéal pour met­tre ces ques­tions sur le devant de la scène, explique à Vert Alis­sa Aubenque, direc­trice des opéra­tions chez Eco­prod. Les films récom­pen­sés par notre prix mon­trent que l’éco-production n’entrave en rien la créa­tion artis­tique».

En 205 dans le Jura

Pour le film des frères Lar­rieu, Le roman de Jim, tourné dans le Jura, c’est Math­ieu Thill qui a offi­cié comme «éco-référent». À lui de met­tre tout en œuvre pour plus de sobriété pen­dant le tour­nage. Aucun groupe élec­trogène ther­mique, très éner­gi­vore, n’aura été util­isé, par exem­ple.

«Tout a été fait sur branche­ment civ­il, forain, ou sur des unités mobiles d’én­ergie, racon­te Math­ieu Thill à Vert. Au niveau du trans­port des comé­di­ens, on a util­isé les voitures du film. Comme celui-ci se déroule dans les années 1980, on a roulé en 205 en pas­sant par des garages locaux. Au niveau de l’hébergement, l’équipe résidait dans un petit hôtel deux étoiles à côté du PMU de Saint-Claude. La clé, c’est le local­isme. Et sur ce long-métrage, j’avais un allié de choc en la per­son­ne de Karim Lek­lou, qui inter­prète l’un des per­son­nages prin­ci­paux. C’était idéal pour embar­quer toute l’équipe dans une démarche éco­lo». Autre inno­va­tion sur ce tour­nage : une mai­son con­stru­ite pour le film à par­tir d’une ruine abrite désor­mais les asso­ci­a­tions d’une com­mune jurassi­enne.

Math­ieu Thill, jamais sans ses poubelles de recy­clage, sur le tour­nage du Roman de Jim. © DR

Selon des don­nées col­lec­tées par Eco­prod, l’impact moyen d’un long-métrage de ciné­ma est de 188,7 tonnes CO2-équiv­a­lent, l’équivalent d’une cen­taine de voy­ages aller-retour en avion entre Paris et New York. Une moyenne qui ne doit pas faire oubli­er les immenses dis­par­ités de bud­get entre les films : de 500 000 euros env­i­ron pour des pro­duc­tions con­fi­den­tielles, à plusieurs dizaines de mil­lions pour les pro­duc­tions grand pub­lic.

Quand on demande à Math­ieu Thill ce qui fait explos­er les comp­teurs, la réponse fuse : «Les stars, les stars, les stars ! Il faut “dépiedestalis­er” les comé­di­ens et arrêter les déplace­ments en héli­cop­tères et les camions loges [NDLR, un véhicule de loca­tion mul­ti-ser­vices (maquil­lage, habil­lage, bureau, lounge) util­isé sur les tour­nages]. Si de plus en plus de pro­fes­sion­nels du secteur se sen­tent con­cernés par les ques­tions écologiques — les jeunes généra­tions en tête -, il y a encore beau­coup de gens qui s’en foutent !».

Une participation encore timide

Chaque print­emps, à l’annonce des films en com­péti­tion sur la Croisette, Eco­prod dif­fuse son appel à can­di­dater pour son prix. Les dossiers reçus sont exam­inés par un jury – com­posé cette année de Cyril Dion, du réal­isa­teur Antoine Bar­raud, de la pro­duc­trice Chris­tine de Jekel et de la for­ma­trice Pauline Gil.

«On demande aux pro­duc­tions de fournir le bilan car­bone du film, puis on exam­ine les actions emblé­ma­tiques et inno­vantes con­duites avant et pen­dant le tour­nage, détaille Alis­sa Aubenque. Pour le film Maria, par exem­ple, les efforts sur les décors ont été très impor­tants. Il faut que la démarche soit trans­ver­sale et implique toute l’équipe».

Pour son édi­tion 2024, Eco­prod aura exam­iné neuf dossiers, dont sept pour des films français. Une goutte d’eau au regard de la cen­taine de longs-métrages qui débar­quent à Cannes chaque année.

Com­ment mobilis­er beau­coup plus large­ment ? «Nous devons mieux touch­er les pro­duc­tions inter­na­tionales, recon­naît Alis­sa Aubenque. On peut aus­si compter sur les effets d’initiatives récentes, comme le lance­ment en 2021 d’un plan de tran­si­tion du secteur par le Cen­tre nation­al du ciné­ma, le CNC».

Si le prix Eco­prod équiv­aut pour l’heure à un coup de tam­pon «éco­lo» sur les œuvres, l’association – fondée en 2009 par Film Paris Région, Audi­ens, Canal +, la CST, France TV et TF1 – a mis en place des out­ils cer­ti­fiés. De la for­ma­tion, un label et le cal­cu­la­teur car­bon’­clap. Cet out­il gra­tu­it recon­nu par le CNC fait désor­mais référence pour réalis­er les bilans car­bone des films.

Pho­to de cou­ver­ture : Les comédien·nes du Roman de Jim, tourné dans le Jura. © Pyra­mide Films