88% des Français·es remplacent leur téléphone alors qu’il marche encore. Qu’ils soient reconditionnés ou non, près de deux tiers des smartphones utilisés ont moins de deux ans – pour une durée d’usage moyenne d’un appareil entre 23 et 40 mois. Un renouvellement aussi fréquent accentue le flux de déchets électroniques, qui pourrait atteindre 125 millions de tonnes d’ici 2030.
Dans un contexte d’urgence écologique, renouveler son équipement peut s’accompagner d’un dilemme écologique. D’après l’Agence de la transition écologique (Ademe), nos téléphones représenteraient un peu plus de 15% des émissions de gaz à effet de serre du numérique en France.
Cet article est issu de notre rubrique Le Vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque semaine, nous répondons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Aujourd’hui, on se penche sur celle posée par Maxime par e-mail : «Vaut-il mieux acheter un téléphone reconditionné ou un neuf « durable » type FairPhone ?». Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.
L’achat d’un produit reconditionné suffit-il à alléger l’addition ? Rappelons que tout produit est source de pollutions, et qu’apprécier son impact environnemental requiert une vision large et systémique. On se remonte les manches et on décrypte ça, ensemble !
«Tout ce qui est d’or ne brille pas»
Il semble si léger dans la paume de notre main. Pourtant, il a fallu extraire près de 200 kilogrammes de matière pour fabriquer notre smartphone, avec plus de 60 matériaux différents. Un véritable petit tableau de Mendeleïev (ou tableau périodique des éléments) portable.
Les ressources minérales et métalliques constituent un stock fini que nous épuisons de plus en plus vite. Plus de deux tiers des éléments que l’on retrouve dans nos smartphones sont considérés comme des ressources critiques par l’Union européenne, et représentent un risque de pénurie. Vous avez entendu parler du pic pétrolier ? À ce dernier s’ajoutent désormais le pic du cuivre, du cobalt ou encore du lithium. Nous vivons dans une société où vous trouverez plus d’or dans une tonne de téléphones que dans une tonne de minerai d’or.
À cette multiplicité des composants s’ajoute une répartition éclatée sur le globe des principaux gisements. La chaîne d’approvisionnement est un enchevêtrement complexe dont il est parfois difficile de retracer l’origine. Elle se caractérise par de nombreuses étapes de transport, parfois effectuées en avion.
Ce voyage est souvent ponctué par des procédés de fabrication très énergivores et réalisés avec des mix électriques carbonés, qui ont une incidence forte sur l’impact climatique de notre smartphone. Sur tout son cycle de vie, la phase de production du téléphone représente le gros des pollutions générées, tant sur le climat que la biodiversité, l’épuisement des ressources et la santé humaine. En d’autres termes, plus de 80% de l’impact environnemental de notre smartphone a lieu avant même que nous le sortions de son emballage.
Estimer à quel point ce dernier a un impact dépend de plusieurs paramètres : le modèle, la capacité de stockage, la taille de l’écran, de la batterie, qui requièrent plus ou moins de ressources.
Huit fois moins d’impacts négatifs
Quand l’impact environnemental d’un produit est majoritairement concentré sur sa phase de production, rallonger sa durée de vie est un levier essentiel pour en atténuer l’impact. De ce point de vue, le reconditionné permet-il d’apporter des solutions satisfaisantes ?
C’est la phase de reconditionnement qui va concentrer l’essentiel de l’empreinte du produit. Son bilan environnemental dépend du type de reconditionnement réalisé. Entre un simple nettoyage et le changement d’un écran brisé ou d’une batterie, on n’aura pas les mêmes besoins en composants, et donc pas la même incidence en bout de course. En moyenne, le reconditionné présente de meilleures performances environnementales. Un smartphone reconditionné peut avoir jusqu’à huit fois moins d’impacts négatifs que son équivalent neuf.
Une question d’usage
Les bienfaits du reconditionnement d’un smartphone seront d’autant plus grands que sa première vie aura été longue. Il ne faudrait pas allouer systématiquement les impacts de la production d’un appareil neuf uniquement à sa première vie.
Le bilan environnemental d’un iPhone 15 reconditionné un an à peine après sa sortie officielle ne sera pas forcément amorti. Se jeter sur les dernières nouveautés dans l’offre reconditionnée peut se traduire par des effets rebonds : des impacts pires qu’auparavant.
Dans certains cas, il est plus vertueux d’acheter un produit neuf si l’on s’assure de maximiser sa durée de vie plutôt, que des appareils reconditionnés renouvelés trop fréquemment. Pour réaliser pleinement ses promesses, le reconditionné ne doit pas être l’alibi d’une nouvelle surconsommation. Miser sur du neuf «conçu pour durer», en achetant des produits durables comme le propose la marque Fairphone, par exemple, est pertinent.
Obsolescence programmée et société de consommation
Il faut aussi s’interroger sur ces renouvellements incessants de nos smartphones. Pourquoi nous en débarrassons-nous si vite ? D’abord, en raison des mécanismes d’obsolescence technique et logicielle : batteries ne pouvant supporter qu’un nombre limité de cycles de charge, incompatibilité de format entre versions de logiciels, ou encore mises à jour automatiques qui ralentissent certains appareils. Des équipements encore en état de marche sont parfois rendus obsolètes par les marques elles-mêmes et trop peu de réglementations existent pour limiter ces carambouilles.
Parfois, l’obsolescence logicielle laisse sa place à l’obsolescence perçue. Ces précieux monolithes qui contiennent l’entièreté de nos vies sont aussi des biens au caractère ostentatoire : bienvenue dans la société de consommation. En encourageant le renouvellement des appareils, les entreprises stimulent la comparaison sociale et le désir de nous différencier de nos semblables en achetant leurs produits dernier cri – quand bien même ils présentent des innovations mineures. Un comportement induit qui contribue à notre quête de statut social et d’identité, via l’achat et la possession de biens matériels.
Finalement
S’il est en moyenne plus intéressant de substituer l’achat d’un produit neuf par du reconditionné – sauf dans le cas de téléphones vraiment durables -, le reconditionnement seul ne peut constituer une solution miracle aux enjeux environnementaux du numérique.
Éco-concevoir des produits réparables et durables, encadrer cette démarche pour limiter les dérives et se questionner sur ses vrais besoins pourrait permettre d’apporter des solutions. Sans réflexion plus profonde sur la technique, sur le capitalisme et la société de consommation, nous serons réduits à frotter le problème en surface, comme nos doigts sur l’écran du téléphone.