Entretien

Tariq Luthun : «On ne peut pas parler du changement climatique en ignorant les réalités des violations des droits humains à Gaza»

Tariq Luthun est militant écologiste d’origine palestinienne installé à Détroit, aux Etats-Unis. À la COP28, il représente une coalition d’associations du monde entier, qui appelle à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, au nom des droits humains et de la justice climatique.
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Qui êtes-vous ?

Je suis organ­isa­teur de com­mu­nautés à Détroit, Michi­gan. Je tra­vaille beau­coup sur la libéra­tion de la Pales­tine, la jus­tice pour les per­son­nes hand­i­capées, et divers­es autres caus­es. Je suis ici au nom des Amis de la Terre Pales­tine et je fais par­tie de la Coali­tion COP28.

Vous avez quitté Gaza quand vous étiez jeune ?

Je suis né à Detroit. Mon père a quit­té Gaza pour aller à l’u­ni­ver­sité aux États-Unis. Puis, il est revenu, a cour­tisé ma mère, et je suis né un an après leur mariage, de retour aux États-Unis. J’ai la dou­ble nation­al­ité.

Vous avez encore de la famille à Gaza ?

Toute ma famille. Je ne suis pas retourné à Gaza depuis env­i­ron 17 ans.

Quelles nouvelles avez-vous de votre famille ?

Il n’y a pas un seul mem­bre de ma famille qui soit, je crois, dans la mai­son où il vivait il y a seule­ment deux mois. Beau­coup de nos cousins ont été poussés de force vers la fron­tière avec pour objec­tif, je crois, de nous déloger de la terre par un net­toy­age eth­nique, de nous pouss­er vers l’É­gypte.

Ceux de ma famille qui n’ont pas été tués ont été déplacés. Mais il y a des mem­bres de la famille élargie qui ont été ciblés, qui ont été attaqués. Ils ont visé des médecins, des jour­nal­istes.

Est-ce que ça a un sens, de parler du changement climatique ici quand la guerre fait rage à Gaza ?

Je ne pense pas qu’on puisse par­ler du change­ment cli­ma­tique en igno­rant les réal­ités des vio­la­tions des droits humains qui se déroulent à Gaza — comme ailleurs. Il y a une atten­tion par­ti­c­ulière sur Gaza en ce moment parce que c’est la ver­sion la plus extrême du type d’agressions que nous voyons dans le monde. Mais je plaide de la même manière pour quiconque est con­fron­té à des attaques con­tre leurs moyens de sub­sis­tance.

Il faut rap­pel­er aux gens que nous vivons une crise cli­ma­tique et que toutes ces ques­tions sont directe­ment liées les unes aux autres. On ne peut pas par­ler de jus­tice cli­ma­tique sans par­ler de droit human­i­taire, de droits humains et du droit des gens à vivre pleine­ment, en sécu­rité et dans l’autodétermination.

Tariq Luthun, à Expo city, le site qui accueille la COP28 à Dubaï (Émi­rats arabes unis). © Loup Espargilière /Vert

Se bat­tre pour le cli­mat, c’est se bat­tre pour la jus­tice sociale et envi­ron­nemen­tale. Au bout du compte, est-ce qu’on essaie juste de faire un monde vert ? Pour qui ? Je trou­ve étrange que beau­coup de gens vivent dans un par­a­digme selon lequel, pour que leur monde prospère, les autres doivent être sac­ri­fiés. Si nous n’ar­rê­tons pas ce géno­cide, nous ouvrons la porte à d’autres préju­dices et à d’autres formes de géno­cides à l’échelle mon­di­ale.

Et en quoi ce qui se passe à Gaza est-il une question écologique ?

La qual­ité de l’air, de l’eau, de la terre elle-même sont affec­tées. Ce qui est vrai­ment dif­fi­cile à imag­in­er, c’est que même si nous obtenons un cessez-le-feu et que nous par­venons à redonner aux Pales­tiniens un sem­blant de moyens de sub­sis­tance, ils devront main­tenant cul­tiv­er des ter­res empoi­son­nées par les bom­barde­ments eux-mêmes, mais aus­si par les matéri­aux des bâti­ments détru­its.

Je trou­ve donc étrange de voir un pays [Israël, ndlr] aus­si acharné à faire la pro­mo­tion de ses efforts écologiques ici, alors que toute son offen­sive mil­i­taire va à l’en­con­tre de tout cela. L’ar­rachage des arbres, la destruc­tion des ter­res agri­coles, l’empoisonnement de l’eau, le bom­barde­ment des ter­res : tout ça a un impact sur le monde qui nous entoure. Que des gens puis­sent ne pas s’en préoc­cu­per et ne pas con­sid­ér­er cela comme un prob­lème cli­ma­tique en plus de la ques­tion des droits de l’homme, ça me sidère.

Qu’espérez-vous accomplir pendant cette COP28 ?

Chaque jour, j’e­spère que nous parvien­drons à un cessez-le-feu et que nous met­trons fin à ce siège. Les Nations unies nous imposent de nom­breuses restric­tions sur ce que nous sommes autorisés à dire ici. Mais beau­coup de gens qui vien­nent nous dire à quel point ils sont avec nous.