Confinés en leur demeure, les humains comprendront-ils qu’ils le sont aussi sur la Terre ? Dans son conte philosophique Où suis-je ?, Bruno Latour veut que nous tirions les leçons de la pandémie pour apprendre à habiter notre planète.
Le sociologue, anthropologue et philosophe des sciences propose une relecture de la nouvelle de Kafka, Métamorphose, à la lumière du contexte épidémique. Dans celle-ci, le jeune Grégor Samsa se réveille un jour sous la forme d’un cancrelat. Il ne peut plus se déplacer et ne parle plus la même langue que ses parents. Pour nombre d’entre nous, le confinement a donné lieu à cette métamorphose : le Moderne, avec son progrès illimité, a dû céder sa place au Terrestre, claudiquant et malhabile dans un monde qu’il ne reconnaît pas. Ce monde n’a jamais été que le sien, mais il semble le découvrir pour la première fois. « Où suis-je ? », s’écrie alors le métamorphosé. L’ouvrage met des mots sur l’étrangeté de ce réveil et aide ce dernier à s’orienter au sein de son nouveau territoire.
Si l’atterrissage peut sembler brutal, voire révoltant, Bruno Latour y voit une chance inouïe d’habiter la Terre comme des ravaudeurs, et de laisser de côté nos rêves d’au-delà. S’envelopper, plutôt que se développer. « Dans l’ancien monde, écrit-il, cela avait peut-être un sens d’aller de l’avant, de cheminer vers un point oméga, mais si nous avons basculé dans le nouveau, revenu à l’intérieur des conditions d’existence dont nous sommes obligés de ravauder les restes, alors le mouvement le plus important c’est de pouvoir nous égailler dans toutes les directions ».
Le philosophe invite donc les lecteur•rice•s à s’habituer à leur nouvelle forme et à aller explorer à tâtons les contours de cette bande de terre sur laquelle le vivant est circonscrit. Un « rapport d’après crash » lumineux et doux au cœur du terrestre hagard.
Bruno Latour, Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres, Les empêcheurs de penser en rond, Editions la découverte, 186p, 15€.