Reportage

«On veut s’intégrer et se rendre utile» : près de Rennes, ces personnes exilées cultivent des fruits et légumes bios pour les plus précaires

Dans la campagne bretonne, un collectif de personnes sans papiers produit des denrées biologiques pour nourrir les plus vulnérables. Sentiment d’utilité, occupation, lien social… Elles et ils retrouvent un peu de joie et de dignité au milieu de parcours éreintants pour être régularisé·es. Vert les a rencontré·es.
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L’herbe craquelle sous les chaussures en ce matin de novembre. Derrière un portillon, trois silhouettes s’activent à l’intérieur d’une petite serre. Deux autres discutent à quelques mètres en remplissant un arrosoir. Malgré les deux degrés qu’affiche le thermomètre, elles et ils se sont donné rendez-vous sur ce terrain potager dans des jardins familiaux de la périphérie rennaise, en Ille-et-Vilaine.

Eddy, Justine, Kassiri, Bena et Aimé ne sont pas né·es ici. Elles et ils ont quitté leur pays respectif dans l’espoir de trouver une vie meilleure en France. Mais, depuis leur arrivée à Rennes, le rêve s’écaille. Les procédures administratives pour obtenir des papiers sont un «parcours du combattant». Les nuits sont froides et les jours solitaires. Pour sortir de ce quotidien anxiogène et «se rendre utiles», ces exilé·es cultivent bénévolement des parcelles de terre qu’on leur a prêtées afin de nourrir les plus vulnérables.

Au programme du jour : plantation de riz et d’arachides. «Je les ai fait venir du Cameroun», affirme Eddy Valère, empoignant les deux sachets de graines. L’agriculteur de 41 ans y gérait une ferme avant de quitter son pays, en 2022, pour des raisons de sécurité. Après un long parcours d’exil qui a failli lui coûter la vie, il entame une procédure de demande d’asile à Rennes. Celle-ci durera deux ans, avant qu’il ne soit finalement débouté.

«Faire sa part dans la société»

Pendant ce temps, il forme un collectif de «migrants volontaires» avec d’autres personnes exilées rencontrées dans les campements de fortune. «J’ai adressé un courrier à la mairie pour participer au nettoyage des rues, mais il est resté lettre morte», relate l’initiateur du projet qui donne aujourd’hui de son temps dans cinq associations chaque semaine. Déterminé·es à «faire [leur] part dans la société», elles et ils créent alors ce projet de maraîchage collectif.

Eddy Valère est arrivé en France il y a trois ans. Chaque semaine, il donne de son temps dans cinq associations à Rennes. © Jeanne Mercier/Vert

En février 2025, une première parcelle d’un hectare leur est ouverte à Melesse, à 15 kilomètres au nord de Rennes, grâce au relais du projet par le collectif Campagnes ouvertes et solidaires. Le groupe s’achète alors du matériel, sacrifiant en partie leur maigre allocation de demandeur·se d’asile. La solidarité rurale fait le reste. Brouettes, pelles, fourches, bottes leur sont données par des agriculteur·ices du coin. L’équipement reste rudimentaire, mais la motivation est là.

Chaque jour ou presque, elles et ils prennent un bus pendant 30 minutes depuis Rennes, puis marchent trois quarts d’heure pour rejoindre la ferme. Au bout de quelques mois, les premiers fruits et légumes sont récoltés. Des courgettes, des tomates, des pastèques, des salades, des patates douces… Une partie des récoltes est distribuée dans les campements de personnes exilées à Rennes, où une grande partie du collectif vit. Le reste est donné aux Restos du cœur et au Secours populaire chaque semaine. Environ deux tonnes de produits fraîchement cueillis ont été distribuées depuis cet été.

Une aide appréciée dans les associations à bout de souffle

Une contribution bienvenue pour les associations qui peinent de plus en plus à assurer leur mission entre les coupes dans les subventions, l’inflation et le nombre de bénéficiaires qui augmente. Aux Restos du cœur de Melesse, les dons s’amenuisent et le nombre de foyers inscrits pour l’hiver dépasse déjà celui de l’année précédente. «Sans eux, les familles n’auraient pas forcément des légumes frais toutes les semaines», souligne Annie Binard, responsable du centre local.

Et biologiques, qui plus est. Critère primordial pour Eddy Valère : «Aujourd’hui, la majorité des maladies sont issues des produits chimiques.» Alors, il fabrique son propre insecticide en broyant de la «fleur jalousie» (ou tithonia diversifolia, qui pousse dans les zones tropicales), de l’ail et du piment. Puis, il pulvérise le jus sur les plantations.

Le jardin d’une centaine de mètres carrés situé dans la périphérie rennaise leur a été prêté par une connaissance d’Eddy Valère. La serre, bien que petite, est un atout durant la saison hivernale. © Jeanne Mercier/Vert

Entre son exploitation au Cameroun, son expérience en agroforesterie en Bretagne et ses visites dans des fermes bretilliennes, où il a notamment appris à faire du compost, Eddy Valère possède de nombreuses connaissances qu’il est heureux de transmettre. Si la majorité du collectif connaissait déjà le monde agricole de près ou de loin, elles et ils continuent d’apprendre ensemble.

«Aujourd’hui, c’est un test, avant de planter dans le champ au printemps», précise-t-il. Si la saison n’est pas aux semences, il espère que celles-ci prendront grâce à la serre qui les protégera du gel. Sur cette parcelle urbaine d’une centaine de mètres carrés récemment prêtée, la production ne peut être qu’anecdotique dans tous les cas. «C’est surtout pour montrer aux autres comment on plante des cacahuètes et du riz», reconnaît-il.

Accroupi·es autour de lui dans la serre étroite, Kassiri et Justine écoutent attentivement. «C’est comme le gazon, il faut semer en ligne, montre Eddy Valère, creusant de petits trous avec ses doigts avant d’y déposer quelques graines de riz. Les autres l’imitent. Pour les cacahuètes, il faut davantage écarter les semis, ça prend de la place en grandissant.»

«J’ai appris plein de choses ici», sourit Justine. Cette Ivoirienne de 41 ans est «née dans l’agriculture». Si elle a choisi de quitter les champs familiaux pour devenir réceptionniste, elle aime toujours revenir à la terre.

«Sans titre de séjour, on ne peut rien faire»

Arrivée à Rennes avec son adolescente malade il y a un an, elle désespère parfois face à la dure réalité qu’elle affronte ici. «Quand on est sans métier, sans rien, beaucoup de choses passent par la tête, confie-t-elle. Je lis les journaux, je vais voir dans les métiers en tension mais, sans titre de séjour, on ne peut rien faire.»

Le collectif permet aux membres de créer du lien social. © Jeanne Mercier/Vert

Et l’obtenir s’avère de plus en plus difficile. «Les conditions se durcissent, notamment depuis la circulaire Retailleau de janvier 2025, constate Suzanne Mamet, coordinatrice au sein de l’association d’aide aux migrant·es Utopia 56 Rennes. Aujourd’hui, même des dossiersirréprochablesne passent plus.» La travailleuse sociale dénonce l’hypocrisie d’un système qui demande aux personnes exilées de «montrer patte blanche» en prouvant leur intégration dans la société sans leur donner accès au marché du travail.

«Je préfère être occupée ici que rester à la maison, assure Justine. Quand on est là, on oublie tout le stress.» Ce n’est pas Kassiri qui dirait le contraire, chantant et dansant en bâchant le sol du potager extérieur. Pourtant, le quadragénaire venu de Côte d’Ivoire ne compte plus les soirs où il doit faire appel au 115 pour avoir un endroit où dormir.

Pour Eddy Valère, le fait de ne pas être régularisé crée «une psychose dans la tête» : «On se sent différent, on ne peut pas s’intégrer… Le collectif me permet de me sentir utile et entouré.» Cette perspective, il souhaite l’offrir aux mineur·es non accompagné·es qu’il voit errer dans les rues de Rennes. Il espère accueillir plus de personnes au sein du collectif et continue d’œuvrer pour pérenniser le projet.

Une nouvelle parcelle d’un hectare leur a déjà été proposée à 10 kilomètres au sud de la ville par un sympathisant, et la métropole de Rennes s’apprête à les recevoir pour discuter d’un éventuel soutien. Une cagnotte en ligne a été mise en place pour acheter un tracteur puis, dans l’idéal, s’installer en maraîchage.

«Ce projet doit être éternel pour moi», ambitionne Eddy Valère, qui souhaite l’exporter au-delà des frontières bretonnes. Deux collectifs similaires sont déjà en train de se former, avec ses conseils, à Fougères (Ille-et-Vilaine) et à Lyon (Rhône). Au fond, il espère que cela servira aussi à faire évoluer certaines mentalités. «Il faut retirer de la tête des gens que l’immigration est un phénomène néfaste. On ne vient pas pour profiter mais pour trouver des conditions de vie meilleures, on veut s’intégrer et se rendre utile à la société.»

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