L’horloge affiche 18h50 alors qu’une dizaine de silhouettes se réunissent à la tombée du jour, place Krasucki. Ce dimanche 12 octobre, au cœur du quartier Boutonnet à Montpellier (Hérault), les élu·es de la métropole ont invité les riverain·es pour une «marche test» nocturne. Le but : avoir un retour d’expérience sur les transformations de l’éclairage public, et tenter de réduire autant que possible la pollution lumineuse dans le secteur.
À 19h21, les ampoules s’allument et le cortège commence sa déambulation. «Que pensez-vous de la lumière dans la rue Lakanal ?», demande Bruno Paternot, vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, délégué à la qualité de l’environnement visuel. Dans ce quartier résidentiel tranquille, où réduire l’éclairage public est une décision politique très populaire, les participant·es plaident pour supprimer certains points lumineux. «Est-ce que les lampadaires pourraient être moins hauts ? Pour éviter d’éclairer le parc la nuit et diminuer la lumière subie par les riverains», propose Ignacio, un habitant du quartier. Au même moment, des chauves-souris sortent des arbres et dansent autour des voitures.
Un halo lumineux à 100 kilomètres à la ronde
Ces marches tests font partie d’un projet plus global : le «Plan lumière», lancé en 2021 dans les 31 communes de l’agglomération de Montpellier (500 000 habitant·es au total). Grâce à ce document, la métropole a adopté l’une des politiques les plus ambitieuses de l’Hexagone pour réduire la pollution lumineuse, laquelle cause des dégâts immenses sur la biodiversité et la santé humaine. Comme le rappelle l’Office français de la biodiversité, cela tue chaque année plusieurs milliards d’insectes en France, en perturbant leur cycle de vie, ce qui contribue à l’effondrement de leurs populations.
L’enjeu est d’autant plus important que Montpellier, dont le halo lumineux peut rayonner certaines nuits jusqu’à plus de 100 kilomètres à la ronde, est une ville entourée par deux zones à la riche biodiversité. À vol d’oiseau, le Parc national des Cévennes est à 60 kilomètres au nord, tandis que le Parc naturel régional de Camargue est à 30 kilomètres à l’est.
Des millions d’euros d’économies
«Il était urgent d’agir. Entre 2000 et 2020, la pollution lumineuse de Montpellier avait bondi de 30%, car c’est la grande ville française avec la plus grande croissance démographique», détaille Bruno Paternot. Même s’il est trop tôt pour étudier tous ses bénéfices, le Plan lumière semble avoir permis de stabiliser la situation. «Le seul indicateur d’efficacité que nous pouvons donner, c’est qu’à force de supprimer des points lumineux dans l’agglomération et de remplacer toutes les ampoules par des LED, nous consommons aujourd’hui 70% d’électricité en moins pour l’éclairage public par rapport à 2021, confie Bruno Paternot. Une économie bienvenue étant donné l’explosion du prix de l’énergie ces dernières années. À l’échelle de l’agglomération, on parle de millions d’euros économisés.»
Pour arriver à ce résultat, chaque soir dès 22 heures, l’intensité de l’éclairage public baisse de 50% dans toute l’agglomération. Sept axes routiers ne sont plus illuminés de 23 heures à 6 heures du matin, et certaines communes de la périphérie connaissent aussi une extinction des feux sur la même période. Des actions spécifiques pour chaque quartier, voire pour chaque rue, viennent compléter le tableau.
En quelques années, la vie nocturne dans la métropole a complètement changé de visage, et les habitant·es le perçoivent au quotidien. «Je me suis rendu compte que, dans certaines rues très passantes du centre-ville, comme la rue Saint-Guihem, l’éclairage public avait presque totalement disparu, note Jeanne, étudiante en histoire qui vit à Montpellier depuis 2020. Mais il y a tellement de bars que, au final, la rue reste éclairée.» Pour Michel, retraité habitant à Clapiers, une commune de la métropole qui a décidé de couper tout l’éclairage de nuit dès 2019 – avant même le lancement du Plan lumière –, la nuit sans éclairage est devenue la nouvelle norme : «On s’est vite rendu compte que les phares des voitures suffisaient largement pour se diriger.»
Une popularité sans équivoque
La question de l’acceptation du Plan lumière est surveillée de près à Montpellier. Ailleurs en France, des initiatives similaires ont parfois subi de grandes résistances, certain·es habitant·es invoquant un sentiment d’insécurité renforcé par l’obscurité. C’est le cas à Bordeaux (Gironde), où une pétition qui a recueilli plusieurs milliers de signatures a conduit le maire écologiste à rallumer les lampadaires dans certains quartiers, en 2024. À Montpellier, une pétition du même type existe, mais elle n’a recueilli que 200 signatures.
«Quand on se penche sur la question, on s’aperçoit que, dans la métropole, réduire l’éclairage public est une mesure politique ultra-consensuelle. C’est même surprenant de voir à quel point», insiste Léa Tardieu, économiste de l’environnement à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Déjà, au niveau politique. La version définitive du Plan lumière, fruit de trois ans de négociations, a été votée en 2023 et adoptée à l’unanimité par le Conseil métropolitain, y compris par l’opposition.
À Montpellier, où la bataille pour les municipales de mars 2026 fait déjà rage, les adversaires du maire (Parti socialiste) Michaël Delafosse ne se plaignent pas des mesures de réduction de la pollution lumineuse. Vert a tenté de contacter plusieurs figures de l’opposition, sans obtenir de réponse. La seule critique publique que nous avons pu retrouver à ce sujet date de 2021, quand la représentante du mouvement NousSommes, Alenka Doulain (proche de La France insoumise), plaidait dans le magazine Sans transition ! pour une approche encore plus radicale. Il était notamment question de l’affichage publicitaire, autre source de pollution lumineuse : «On est surchargés de messages de surconsommation», déplorait-elle alors.
Le plébiscite du Plan lumière a été prouvé par des travaux scientifiques. En 2021, à la demande de l’agglomération montpelliéraine, la chercheuse Léa Tardieu et une équipe de scientifiques ont sondé l’acceptabilité sociale des mesures du plan, quartier par quartier et commune par commune. «Par questionnaire, nous soumettions les différentes options envisagées aux habitants. Par exemple : une extinction des lumières de 23 heures à 6 heures ; seulement de 1 heure à 5 heures ; ou pas d’extinction du tout. En moyenne, dans la métropole, 80% des personnes interrogées étaient d’accord avec toutes les propositions, y compris les plus radicales», relate la chercheuse.
Savoir s’adapter à chaque quartier
Seul·es les habitant·es des quartiers les plus concernés par l’insécurité, à savoir la Mosson et le Pas du Loup, demandaient majoritairement un maintien de l’éclairage public. «Grâce à ces données, on a pu comprendre que, pour ces quartiers, il fallait avoir une approche particulière, témoigne l’élu Bruno Paternot. Nous avons donc lancé des travaux spéciaux pour y transformer l’éclairage public, lesquels vont prendre plusieurs années. Le premier objectif est d’améliorer le sentiment de sécurité et, si possible, de rendre ce dispositif plus écologique qu’aujourd’hui.» Un travail complémentaire mené avec des associations de quartier et des organisations contre les discriminations liées au genre a permis d’imaginer des solutions sur mesure.
Pour Léa Tardieu,cette approche quartier par quartier a évité des réticences importantes dans la population. «La métropole a su utiliser les informations scientifiques à sa disposition, en se servant notamment des sciences sociales. En tant que chercheurs et chercheuses, on s’est senti très écoutés. Et le protocole utilisé à Montpellier est tout à fait réplicable dans d’autres endroits, urbains comme ruraux», insiste-t-elle.
Les administrateurs du Parc national des Cévennes couvrent de compliments leur voisin un peu trop brillant, qui s’essaie désormais à la sobriété. «Depuis 2018, notre parc a reçu le label Réserve internationale de ciel étoilé, attribué par l’association américaine Dark sky international. Montpellier est de loin notre source de pollution lumineuse la plus importante, donc on ne peut que se féliciter de la mise en œuvre d’une telle feuille de route. J’espère que d’autres mairies pourront s’en inspirer», explique à Vert Richard Scherrer, délégué territorial au Parc national des Cévennes. Cela pourrait permettre d’atteindre les objectifs de la Stratégie nationale sur la biodiversité. Lancée par le gouvernement en 2023, elle prévoit d’ici à 2030 une réduction de 50% de la pollution lumineuse sur l’ensemble du territoire français par rapport à 2020.
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