Entre ton premier ouvrage Ça commence par moi – qui répertorie 365 « petits gestes » pour la planète – et 2030 Glorieuses, il semble y avoir un changement d’échelle dans l’action. Est-ce que tu dirais qu’avec le temps, tu es plus radical ?
Durant mes premières expériences professionnelles dans la solidarité internationale, j’ai vécu avec 200 euros par mois et des jeunes de bidonvilles, des anciens prisonniers et des anciens prostitués. Je considère que dans la mise au service de l’autre, dans mon engagement, j’ai toujours été radical : je cherche à m’approcher de la racine c’est-à-dire des affres du capitalisme qui exploite. La Colombie, où j’ai séjourné deux ans, et les Philippines sont des pays dans lesquels on retrouvait le plus l’expression du dérèglement climatique. Ces constats ont créé chez moi une révolte, une colère et un immense ras-le-bol.
En rentrant en France, j’ai réfléchi à la meilleure manière de changer le système. La démission nationale était folle. J’avais envie d’un échelon individuel car je voulais vivre le changement dans ma chair et retrouver le pouvoir sur les petits gestes qui étaient souvent présentés de manière culpabilisante. J’ai aussi accompagné 25 jeunes sur la démocratie du quotidien aux Grands voisins [un ex-tiers-lieu éphémère parisien, ndlr] ; j’ai participé à des actions de désobéissance civile ; été bénévole auprès de Veni Verdi qui faisait du jardinage dans les écoles. En réalité, j’ai exploré de nombreux faisceaux d’action à tous niveaux en ayant conscience que le point de départ de l’action vient des individus mais que la responsabilité portée collectivement. Mon intuition a été de considérer que raconter son action et mettre en scène la transformation individuelle est un puissant levier d’action.
J’aurais pu écrire 2030 Glorieuses il y a cinq ans. Mais ce que j’ai écrit là, je l’ai vécu dans mon corps et je me le suis approprié. Je ne voulais pas prendre une posture et véhiculer des propos sans avoir eu le temps de les décanter. La radicalité demande une action écologique, sociale mais aussi intérieure. Il faut questionner la manière dont le vivant est utilisé pour générer de la croissance économique. Je vois le parcours d’engagement comme une spirale dans laquelle il y a plein de portes d’entrée, et non pas comme une pyramide.
Tu as été interviewé par la journaliste Anne-Sophie Novel – devenue, depuis, journaliste à Vert – pour un article qui s’intitule « Y aurait-il une bonne et une mauvaise façon de défendre l’écologie ». Que penses-tu de cette classification ?
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise écologie, mais il y a une bonne et une mauvaise critique. Une bonne critique qui vise à chercher la petite bête pour nous permettre de peaufiner, d’être plus juste dans nos propos et plus efficace dans nos prises de position. Une mauvaise critique qui paralyse, crée des frustrations, des colères et qui est alimentée par les egos. Il y a peu, j’ai été confronté à une vendetta sur les réseaux sociaux par des personnes anarchistes qui critiquaient ma position.
Je suis persuadé que nous avons le temps de créer plein de camps. Je ne vois pas le changement de notre société comme le remplacement d’un monolithe par un autre. Il faut au contraire revenir à une vision vivante de la société, avec plein d’organisations et de ramifications différentes. L’enjeu majeur est d’être le plus nombreux possible à œuvrer pour le changement et l’avènement de futurs durables. Il faut critiquer le système actuel, dénoncer la violence d’Etat envers les plus pauvres. En lisant de plus en plus les éditions DGR [Deep green resistance, ndlr] – je me dis qu’une violence à l’encontre de certains biens matériels, si elle est faite avec pédagogie et vision, peut avoir du sens. Mais en l’état, les médias étant majoritairement possédés par les grands milliardaires, c’est dangereux. Lorsqu’on n’est pas capables d’assurer un faisceau de communication cohérent, ces méthodes peuvent se retourner contre nous. Un exemple avec Notre-Dame des Landes : si on avait fait un sondage au moment où les journaux télévisés montraient la ZAD comme une décharge et filmaient les conflits avec la police armée, la grande majorité des gens aurait été contre la ZAD.
Quelle différence fais-tu entre l’utopie et le rêve ?
L’utopie vient d’un rêve qui a réussi à trouver une place dans la réalité, qui est expérimenté à l’échelle locale et mériterait de prendre l’espace national et législatif. 2030 glorieuses, c’est une manière de voir le monde. Si on n’ose pas changer notre regard sur l’état de fait actuel, alors on abandonne d’avance. Les utopies vivantes sont une façon de ne plus admettre l’obsolescence et la folie de notre monde actuel et d’entrer en résistance. Certaines utopies sont encore naissantes, si bien qu’on a du mal à pouvoir les palper. Celles que je partage – les utopies vivantes – sont celles qui ont été largement moulinées et qui ont trouvé des expressions dans le réel.
Récemment, tu as dit que « les contenus qui proposent des pistes pour se mettre en mouvement fonctionnent moins bien que les vidéos qui tirent la sonnette d’alarme », comment, dans ce cadre, déployer largement l’utopie ?
Il faut attaquer plein de fronts en même temps. D’abord, il faut questionner la relation des Français à l’information, se rendre compte de la relation à l’infobésité, des jeux de puissance économique et que les citoyens prennent connaissance des médias indépendants, des médias du temps long. Aujourd’hui, il y a plein de journalistes d’impact. Sparknews, par exemple, a organisé le « journalism impact day ». Les gens ont envie d’entendre parler de solutions : il faut complexifier, être plus transparents sur l’urgence et arriver à mettre en avant des alternatives et des leviers d’action à tous les niveaux. Par ailleurs, on est aussi dans un jeu qui a tellement fait porter la responsabilité sur les épaules des individus qu’on ne croit plus en notre capacité d’action. On a assimilé que notre dernier pouvoir, c’était le pouvoir d’achat.
Quelles sont les utopies vivantes qui t’ont le plus marqué au cours de ton travail ?
Je suis bien incapable de répondre ! J’ai interviewé 50 personnes pour le podcast 2030 Glorieuses et leurs expérimentations sont florissantes. Par ailleurs, dans le livre, j’ai repris de nombreuses mesures déjà existantes et proposées par la société civile, les 150 citoyens de la Convention pour le climat ou le collectif Plus jamais ça !
Pour moi, la nécessité d’action se fait en trois grandes étapes. D’abord, il faut permettre aux Français d’être proactifs donc lutter contre les inégalités et contre tout ce qui fait que le citoyen est attaqué, épuisé et obligé de jouer à un jeu qui le limite dans sa capacité d’action. Ça passe par une économie qui répartirait plus sereinement la richesse, qui arrêterait d’épuiser la santé et le mental des gens à travers tout un tas de métiers inutiles et une justice qui punirait plus sévèrement les personnes qui s’enrichissent sur le dos des autres.
La deuxième étape est de se remettre au service du vivant et revenir dans le préventif : être en meilleure santé grâce à une alimentation plus saine, à des écosystèmes régénérés, à une éducation qui redonne sa place à l’empathie et à la bienveillance, et comprendre les grands enjeux de notre siècle. Il s’agit aussi de régénérer le vivant car on a une dette : encore plus nettoyer les plages, créer des espaces de végétalisation partout.
Enfin, nous pouvons reprendre notre place auprès de notre communauté : que nos habitations soient plus partagées et plus ouvertes, nos transports plus lents. Miser sur une technologie qui recrée du lien et réorganiser la démocratie pour avoir les bons outils et les bons leviers.
En ce moment-même, les programmes, les propositions et les discours des candidats sont des copier-coller de 30 ans de politiques désuètes. Comme si on n’avait pas d’alternative, ainsi que l’a martelé Margaret Thatcher [Première ministre britannique conservatrice entre 1979 et 1990, ndlr]. Je ne vois aucune ambition, j’ai l’impression que c’est de l’opportunisme figé dans le marbre.
Tu dis que « l’usage de l’utopie comme « pratique de la ruse souriante et radicale » recèle un pouvoir encore trop peu exploité », quelles sont tes pistes pour accroître l’utopie ?
En ce moment, j’anime des voyages en 2030 Glorieuses deux fois par semaine. Il s’agit de prendre le temps de réfléchir à quoi ressembleront nos vies en 2030 glorieuses. Sans ces espaces d’imagination, on n’aura moins de chances de les faire advenir. Dans ces ateliers, les gens parlent au présent de la France d’après et touchent du doigt ce futur. Cela leur donne un cap, une énergie. On peut “hacker” tous les moments de flottement de nos vies pour imaginer des futurs désirables. Mais c’est une vraie bataille car chaque interstice a été cannibalisé par les écrans et les réseaux sociaux.
Pour cela, j’ai développé un format d’atelier en physique avec des designers qui s’appelle le Guide des conversations utopiques. C’est un voyage de deux heures qui peut être décrit comme le pendant « solutions » à la Fresque du climat [un jeu de trois heures autour de l’identification des causes et des conséquences des dérèglements climatiques, ndlr]. Récemment, une petite m’a dit que dans le futur, elle se voyait diriger un centre d’accueil pour les animaux voués à l’abattoir. Ça remet en mouvement et ça permet à d’autres possibles d’exister.