Reportage

En Jordanie, la méthode Miyawaki s’enracine pour reverdir le Moyen-Orient

Dans la capitale jordanienne d'Amman, un duo d’environnementalistes a planté trois bosquets urbains selon la méthode Miyawaki, une technique de reforestation venue du Japon. Tous deux espèrent ainsi sauver des essences locales oubliées et contribuer à restaurer les écosystèmes de la région, très dégradés par le changement climatique.
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On trou­ve peu d’espaces verts dans les replis ocres des quartiers béton­nés d’Amman, la cap­i­tale de la Jor­danie. Mais dans l’un de ses rares jardins publics se niche une forêt méditer­ranéenne minia­ture. Env­i­ron 800 arbres et arbustes d’une ving­taine d’espèces dif­férentes — pis­tachiers, amandiers, carou­biers, chênes et bien d’autres – s’y côtoient sur une sur­face de 250 mètres car­rés.

« Je l’ai vue grandir sous mes yeux », se sou­vient Omar Al-Sharif, un jar­dinier qui tra­vaille dans le parc depuis plus de 20 ans. « Les pouss­es mesuraient trente cen­timètres au début. » Cette forêt nais­sante est pour lui un sym­bole : « Autre­fois, ce pays était cou­vert de forêts majestueuses. Je n’espère rien d’autre que de retrou­ver cette richesse per­due. »

Comme le reste du Moyen-Ori­ent, la Jor­danie a vu sa cou­ver­ture forestière fon­dre au fil des dernières décen­nies, jusqu’à attein­dre 0.03% de la sur­face du pays, selon la plate­forme Glob­al For­est Watch. Cette déforesta­tion entraîne dans son sil­lage l’éro­sion des sols et la déser­ti­fi­ca­tion, dans une des régions les plus vul­nérables au change­ment cli­ma­tique.

Depuis 2018, l’architecte jor­dani­enne Deema Assaf et l’environnementaliste japon­ais Moto­haru Nochi tes­tent un ensem­ble de tech­niques venues du Japon – la méth­ode Miyawa­ki – pour créer des mini-forêts urbaines en Jor­danie. Bien que celles-ci ne puis­sent se sub­stituer aux sur­faces boisées qui cou­vraient aupar­a­vant le pays, l’initiative con­tribue à sauve­g­arder des essences indigènes et pour­rait per­me­t­tre de restau­r­er les écosys­tèmes arides de la région.

Moto­haru Nochi et Omar Al-Sharif © Lyse Mau­vais / Vert

La méthode Miyawaki

Mise au point dans les années 70 par le botaniste japon­ais Aki­ra Miyawa­ki, la méth­ode con­siste à planter des espèces locales pour recréer, en quelques années, une forêt indigène qui pour­ra s’épanouir sans inter­ven­tion humaine. Ces forêts sont trente fois plus dens­es que des forêts plan­tées de manière clas­sique. Elles con­stituent des îlots de bio­di­ver­sité capa­bles d’oxygéner et de dépol­luer les envi­rons.

« La pre­mière étape est d’identifier la végé­ta­tion naturelle poten­tielle d’une zone, c’est-à-dire les espèces qui pousseraient naturelle­ment dans ce milieu », explique Nochi. Les arbres sont plan­tés dans un sol enrichi de com­post sur une épais­seur de quar­ante cen­timètres, pour imiter la couche d’humus qui tapisse le sol des forêts.

La forte den­sité des pouss­es exac­erbe la com­péti­tion pour la lumière, ce qui per­met à la forêt de croître jusqu’à dix fois plus vite qu’une forêt clas­sique. Son sol est recou­vert de pail­lis pour con­serv­er l’humidité et les plants ne sont arrosés que pen­dant deux ans – l’idée étant de min­imiser l’influence humaine sur la forêt, qui doit devenir la plus « sauvage » pos­si­ble.

Depuis 2018, Assaf et Nochi ont plan­té trois mini-forêts selon cette méth­ode. La pre­mière a vu le jour en décem­bre 2018, sur un ter­rain de 107 mètres car­rés prêté par un par­ti­c­uli­er. Les deux autres ont été plan­tées en 2020 dans le cadre d’un pro­jet mené par la ville d’Amman et financé par l’agence de développe­ment alle­mande GIZ, afin de créer deux « poumons urbains » dans des parcs des quartiers pop­u­laires.

Une des trois forêts pilotes, plan­tée en novem­bre 2020 © Lyse Mau­vais / Vert

Répondre aux défis locaux

Depuis peu, la refor­esta­tion a le vent en poupe au Moyen-Ori­ent, qui rassem­ble cer­tains des plus gros émet­teurs de CO2 au monde. En avril, l’Arabie Saou­dite a annon­cé en grande pompe vouloir planter 50 mil­liards d’arbres dans la région. La Jor­danie compte, quant à elle, en faire pouss­er dix mil­lions sur dix ans.

Mais ces rêves de papi­er se heur­tent à de nom­breux défis, notam­ment une con­cep­tion en creux de la refor­esta­tion. « Ils veu­lent planter des mil­lions d’arbres pour décar­bon­er. Mais si on veut que ces arbres vivent, il faut que la com­mu­nauté s’en occupe, il faut les pro­téger, il faut les arroser », souligne Mari­am Al-Jaa­jaa de l’ONG Arab Group for the Pro­tec­tion of Nature, qui a mis en terre plus de 100 000 arbres en Jor­danie.

La méth­ode Miyawa­ki répond à cer­tains de ces défis car elle met l’accent sur les essences autochtones, adap­tées à l’environnement local. Mais en obtenir peut se révéler ardu, alors que beau­coup de savoirs et de semences locales ont été per­dues. Pour les recou­vr­er, Nochi et Assaf accom­pa­g­nent des groupes de ran­don­neurs et font des comp­tages d’espèces en forêt. Le tan­dem s’appuie sur des com­mu­nautés Face­book et des pépiniéristes pour les iden­ti­fi­er, et ont déjà récolté des graines d’une quar­an­taine d’espèces, dont cer­taines sont men­acées.

L’arbre au mas­tic (Pis­tachia lentis­cus), une espèce indigène dont la résine est util­isée en pâtis­serie © Lyse Mau­vais / Vert

Pour l’heure, le suc­cès est au ren­dez-vous. L’immense majorité des plants a survécu à sa pre­mière année en terre, et le jardin se développe. « De nou­velles espèces d’oiseaux et d’insectes, et beau­coup d’abeilles sont apparues », s’émerveille Omar qui soulève une feuille, dévoilant une grosse che­nille. Un renard est même venu lui ren­dre vis­ite dans la petite par­celle.

« Pour le moment, nous expéri­men­tons cette méth­ode en ville, mais elle pour­rait cer­taine­ment appuy­er des efforts de refor­esta­tion plus larges, par exem­ple avec des cein­tures Miyawa­ki inté­grées à des plan­ta­tions clas­siques », explique Assaf. « Com­parée aux approches clas­siques qui s’appuient sou­vent sur la mono­cul­ture et utilisent par­fois des espèces allogènes, la méth­ode Miyawa­ki génère une forêt plus résiliente grâce à sa diver­sité. »

Créer du lien

« Planter une forêt néces­site l’investissement de toute une com­mu­nauté » souligne Nochi. Il rêve de voir des asso­ci­a­tions, des mosquées, des écoles repro­duire son ini­tia­tive. Des bénév­oles et des riverain•es sont sollicité•es à toutes les étapes du pro­jet – ramass­er les graines, planter, entretenir le lieu — car « la méth­ode Miyawa­ki doit aider à rassem­bler les gens, les encour­ager à pren­dre soin de notre société ».

Mais cette volon­té de créer du lien se heurte par­fois au dés­in­térêt pub­lic, voire à la malveil­lance. « Le rap­port que les gens ont aux espaces publics est un défi », regrette Nochi. Les forêts pilotes ont dû être clô­turées pour les pro­téger des dégra­da­tions ou des enfants qui jouent avec les pouss­es. L’année dernière, l’une d’elles a été incendiée.

Une bénév­ole plante de nou­velles pouss­es. © Lyse Mau­vais / Vert

Pour Mari­am Al-Jaa­jaa, c’est peut-être l’un des points faibles de cette méth­ode. Se focal­isant sur la valeur écologique des forêts, elle peine à sus­citer l’intérêt des com­mu­nautés. « Pour que les com­mu­nautés locales se sai­sis­sent du pro­jet, il faut qu’elles y trou­vent une forme de valeur – arbres fruitiers, oliviers, plantes médic­i­nales », explique-t-elle. Elle ajoute : « trop sou­vent, les arbres plan­tés dans des espaces publics sont délais­sés et meurent faute d’intérêt à les préserv­er. »

Assaf recon­naît que la per­cep­tion de cer­taines espèces comme « non-pro­duc­tives » est un défi. Elle espère qu’en ramenant à la ville des arbres oubliés, ces forêts urbaines per­me­t­tront de renouer des liens entre les citadins et la nature. Et que le mod­èle essaimera dans d’autres pays de la région.