Décryptage

Échouages massifs de dauphins : les associations réclament des suspensions de pêche

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Cap­tures et cran. Plusieurs asso­ci­a­tions français­es se mobilisent cette semaine pour met­tre fin aux échouages mas­sifs de cétacés sur la côte atlan­tique. Leur demande : que cer­taines méth­odes de pêche soient sus­pendues locale­ment pen­dant plusieurs mois chaque année.

Cet hiv­er, 395 petits cétacés ont été retrou­vés morts sur la façade Atlan­tique et près de 40 autres sur le lit­toral de la Manche. 90% de ces ani­maux étaient des dauphins com­muns, con­sid­érés comme pro­tégés. Et c’est sans compter le pic d’échouage habituelle­ment observé au mois de févri­er. «Ce nom­bre anor­male­ment élevé nous inquiète, indique à Vert Cédric Marteau, directeur du Pôle Pro­tec­tion de la nature à la Ligue de pro­tec­tion des oiseaux (LPO). Et il nous fait dire que rien n’est réglé au large».

Cette sit­u­a­tion cri­tique pour les cétacés remonte à plusieurs années. L’observatoire des mam­mifères et oiseaux marins du CNRS, Pelagis, observe une aug­men­ta­tion des échouages depuis 2015 et fait état d’un «épisode intense de mor­tal­ité» cet hiv­er. L’an passé, selon son rap­port, 612 petits cétacés, dont 80% de dauphins, ont été retrou­vés échoués le long des côtes atlan­tiques entre les mois de novem­bre 2021 et mai 2022. Ces chiffres ne représen­tent qu’une par­tie des dauphins morts dont les corps ont plutôt ten­dance à être mangés, à couler ou à se détéri­or­er en mer. La LPO con­sid­ère que 8 000 à 10 000 dauphins pour­raient ain­si être décimés au large des côtes français­es chaque année.

Caméras et répulsifs

Caus­es naturelles, pré­da­tions, pol­lu­tions, raré­fac­tion de la nour­ri­t­ure, dérè­gle­ment cli­ma­tique, col­li­sions avec des bateaux… si le phénomène a sans doute plusieurs raisons, il est clair pour les sci­en­tifiques de Pelagis que les cap­tures acci­den­telles par les pêcheurs sont «la prin­ci­pale cause de mor­tal­ité observée». Les dauphins échoués sont autop­siés, «on regarde leur âge, leur sexe s’ils étaient en bonne san­té et on observe sou­vent des stries des filets, des morceaux de filets, des nageoires sec­tion­nées… qui mon­trent bien qu’il y a eu une inter­ven­tion humaine», explique Cédric Marteau. Pêche au cha­lut (un filet remorqué en forme d’entonnoir), filets mail­lants (pan­neaux ver­ti­caux dis­posés en ligne) et autres tré­mails (con­sti­tués de trois nappes de maille) ; ces méth­odes de pêche trop peu sélec­tives ont un très lourd impact sur la bio­di­ver­sité, esti­ment sci­en­tifiques et asso­ci­a­tions. Les dauphins seraient ain­si cap­turés puis remis à l’eau par des équipages de pêcheurs sans que ces événe­ments ne soient déclarés, con­traire­ment à ce qu’impose la loi.

Un plan visant à enreg­istr­er des don­nées a été mis en place par l’État en 2019 et mus­clé fin 2022. Il repose essen­tielle­ment sur l’installation de caméras à bord des bateaux et de répul­sifs acous­tiques, dits pingers, des­tinés à éloign­er les dauphins. «Mais il y a telle­ment d’interactions entre les zones de pêch­es et les zones d’alimentation des cétacés qu’à un moment don­né il y a des cap­tures», pré­cise Cédric Marteau.

«C’est la vie de milliers de dauphins qui est en jeu»

La défense des mam­mifères marins se joue désor­mais de plus en plus dans les pré­toires. La France a déjà été con­damnée à ce sujet par le tri­bunal admin­is­tratif en 2020, puis mise en demeure par la Com­mis­sion européenne après la plainte de 26 ONG en 2019. En juil­let dernier, la Com­mis­sion a estimé que la réponse de l’Etat français était insuff­isante et a annon­cé qu’elle pour­rait saisir la Cour de jus­tice européenne, pous­sant la France à ren­forcer son plan. Ce ven­dre­di 24 févri­er 2023, le Con­seil d’État tien­dra une nou­velle audi­ence faisant suite à un recours en jus­tice déposé en 2021 par France Nature Envi­ron­nement (FNE).

«Ce qui se joue, c’est une fer­me­ture des pêcheries, pour l’hiver prochain, on l’espère. C’est donc la vie de mil­liers de dauphins qui est en jeu devant le con­seil d’E­tat, explique à Vert Jérôme Graefe, juriste de FNE. Une déci­sion allant dans notre sens serait une pre­mière étape déci­sive pour la bio­di­ver­sité. Encore faut-il qu’après, l’E­tat veuille bien exé­cuter les déci­sions de jus­tice pris­es à son encon­tre le cas échéant», met-il en garde. «Si la jus­tice nous donne rai­son, ajoute-t-il, nous atten­dons que les min­istres con­cernés reçoivent dans le mois qui suit l’ensemble des par­ties prenantes afin d’organiser dès main­tenant les fer­me­tures spa­tio-tem­porelles».

Le 22 févri­er, la Ligue de pro­tec­tion des oiseaux a exposé 400 por­traits de dauphins sur l’esplanade des Invalides, à Paris. © LPO

La réponse du Con­seil d’Etat sera con­nue d’ici quelques semaines. Mais elle ne sign­era pas un point final, car de nom­breux autres recours d’associations sont en cours. Ce mer­cre­di 22 févri­er, la LPO organ­ise un rassem­ble­ment à Paris pour présen­ter deux nou­velles actions en jus­tice : l’une auprès de la Com­mis­sion européenne et un recours gra­cieux auprès du secré­taire d’Etat chargé de la Mer, Hervé Berville. «Nous dis­ons au gou­verne­ment : il y a des solu­tions, prenez les mesures !», réclame Cédric Marteau dont l’association a ren­du publique fin jan­vi­er une let­tre adressée à Emmanuel Macron et signée par 45 000 per­son­nes. «Il suf­fi­rait de sus­pendre les pra­tiques de pêche en cause pen­dant plusieurs semaines dans le Golfe de Gascogne pour épargn­er la grande majorité des dauphins», estime la LPO.

Dans un avis récent, le Con­seil inter­na­tion­al pour l’exploration de la mer (CIEM) pré­con­i­sait «une com­bi­nai­son de fer­me­tures tem­porelles de tous les métiers con­cernés et l’ap­pli­ca­tion d’émet­teurs d’ul­tra­sons». Autrement dit, il s’agirait de sus­pendre locale­ment et tem­po­raire­ment cer­tains types de pêche jugés trop dan­gereux pour les cétacés. Une fer­me­ture qui «per­me­t­trait d’in­dem­nis­er les pêcheurs par l’in­ter­mé­di­aire d’un fonds européen spé­ci­fique­ment prévu pour cela, pré­cise Jérôme Graefe, juriste à FNE. Ce type de mesure per­met aux espèces de se repos­er et de se repro­duire. Et, in fine, aux pêcheurs d’avoir des efforts de pêche moin­dres à fournir pour aller chercher le pois­son». «Ce n’est pas un monde con­tre un autre, l’économie con­tre la nature, d’ailleurs ce sont les pêcheurs aus­si qui ont la solu­tion, com­plète Cédric Marteau. Mais il faut que les choses changent».