Le vert du faux

Comment s’équiper en vêtements de sport techniques sans ruiner la planète ?

Impers aimables. Imperméables, chauds et anti-transpirants, les vêtements de sports sont souvent faits de produits toxiques et difficilement recyclables. Tour d’horizon des marques et des solutions qui permettent de faire du sport sans (trop) nuire à l’environnement.
  • Par

Veste The North Face, bonnet et baskets Nike… Dans Kaizen, son documentaire à succès qui montre son ascension de l’Everest, le youtubeur Inoxtag illustre à quel point les marques dédiées à la performance sont aussi celles qui font la mode.

Les vêtements techniques (chauds, anti-transpirants ou imperméables) occupent de plus en plus de place dans notre garde-robe. Un intérêt alimenté par des collaborations entre des marques de luxe et d’outdoor, comme la collection proposée en 2021 par Gucci et The North Face. «On observe un effet de mode urbain avec plus de sacs à dos et de doudounes, alors que ce matériel n’est pas forcément adapté à la ville», explique à Vert Victoire Satto, fondatrice de The Good Goods, média qui analyse les impacts de la mode sur le vivant.

https://twitter.com/thenorthface/status/1341440560482152453

Le style mis à part, les urbains pratiquent davantage la rando, le vélo, ou encore l’escalade. «Le marché du vélo est en tension, les applis de sport comme Strava [l’application qui permet de mesurer et partager ses performances en course à pied et vélo, NDLR] ont explosées depuis 2023, et le trail bénéficie d’un effet de mode sur les réseaux», liste la spécialiste.

Fabriqués à partir de matières qui garantissent leur imperméabilité, limitent la transpiration et protègent du froid, ces vêtements de sport sont souvent constitués de produits chimiques, tels que les perfluorocarbures (PFC) et autres PFAS – des chaînes très solides de fluor et de carbone qui s’accumulent dans le corps et l’environnement. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ces substances ont des effets néfastes sur la santé, et certaines sont des perturbateurs endocriniens : elles peuvent altérer notre système hormonal et reproductif.

Quelles alternatives aux produits polluants ?

«Les substituts sont difficiles à trouver, les entreprises doivent encore développer la recherche sur ce sujet», concède Raphaël Guastavi, expert en écoconception et recyclage à l’Ademe. De plus, il existe un risque de remplacer un produit chimique par un autre, dont on ne connaît pas encore les conséquences sur la santé et l’environnement.

Certains fabricants tentent tout de même de se passer des PFAS, ces polluants éternels désormais dans le viseur d’une partie du public. The Good Goods a dressé une liste de marques de sport de plein air qui se sont engagées à les supprimer de leurs produits, telles que Deuter, Vaude ou encore Icebreaker. Patagonia assure par exemple que 92 % de ses produits n’en contiennent plus et promet d’en exempter la totalité de ses articles, d’ici à 2025.

Les fibres naturelles peuvent-elles prendre le relais ? La laine, par exemple, est de plus en plus intégrée à certains vêtements. «Elle est thermorégulatrice et anti-bactérienne, adaptée à des randos de plusieurs jours», explique Nolwenn Touboulic, ingénieure à l’Ademe, spécialiste des textiles. Mais les matériaux naturels ne sont pas des remèdes miracles. La majorité de la laine utilisée en France par exemple, provient de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Les filières de cette fibre, et plus encore celles du lin ou du chanvre, sont encore très peu développées en France.

Les labels auxquels se fier

En attendant qu’elles se généralisent, certains labels comme Bluesign ou Oeko-Tex garantissent l’absence de produits toxiques. Le plus répandu, Oeko-Tex, contrôle les articles selon un cahier des charges plus strict que les normes européennes. Outre les labels, l’affichage de l’impact environnemental des produits se développe, même s’il n’est pas encore obligatoire. Il est disponible sur 60% des produits Décathlon par exemple.

Si les vêtements de sport contiennent davantage de PFAS que nos habits du quotidien, les deux secteurs ont un point en commun : la part la plus importante de la pollution qu’ils génèrent vient de l’extraction des matières naturelles ou synthétiques nécessaires à leur conception, et de leur transformation.

Un recyclage pas toujours évident

Pour Nolwenn Touboulic, la principale solution pour limiter l’impact environnemental de ces articles, c’est donc le recyclage. Celui-ci permet de réduire, dès le départ, les besoins en matières premières neuves. Certaines marques ont saisi ce créneau, comme Le Coureur du dimanche, qui fabrique des tee-shirts de sport à base de bouteilles plastiques.

Toutefois, «le recyclage en boucle fermée, à partir de vêtement pour faire des vêtements, n’est pas très développé», regrette l’ingénieure. Les vêtements techniques ajoutent une difficulté supplémentaire : leurs nombreuses couches, faites de matériaux mélangés, sont plus compliquées à séparer et réutiliser. Sans compter le risque que «des substances toxiques, comme les PFAS, soient emmenées dans un nouveau produit», relève Nolwenn Touboulic.

Au-delà de l’écoconception (articles fabriqués à partir de matières recyclées et plus simples à recycler eux-mêmes, diminution de l’usage de PFC…), certaines marques s’engagent à prolonger au maximum la durée de vie de leurs vêtements. Goodloop, par exemple, s’est spécialisé dans la réparation d’articles outdoor tels que les doudounes. Valone, quant à elle, garantit la réparabilité à vie de ses chaussures de trail.

Mais ces marques sont-elles abordables pour le plus grand nombre ? Pour estimer le coût réel de ces vêtements plus durables«il faut diviser le prix d’achat par le nombre de fois qu’on utilise le produit», conseille Victoire Satto. Et toutes les marques respectueuses de l’environnement ne sont pas hors de prix. La spécialiste de la mode cite La Virgule, et ses sacs «fabriqués à partir de stocks dormants de produits Patagonia ou The North Face».

Location et seconde main

La location d’équipements peut aussi être une solution pour se procurer des vêtements écolos sans se ruiner. Décathlon a développé ce service (on peut louer une combinaison de surf ou de ski pour des usages ponctuels par exemple). Idem pour la marque de sport de plein air Picture.

De nombreuses recycleries sportives (à retrouver sur cette carte) permettent d’acheter des vêtements techniques de seconde main. Tout comme certaines plateformes spécialisées, par exemple Everide ou Sporteed.

Éviter la surconsommation 

Ces plateformes sont plus vertueuses à une condition, nuance Flore Berlingen, coordinatrice de plaidoyer de l’ONG En mode climat : «qu’elles ne poussent pas à la surconsommation, comme Vinted» (lire notre article à ce sujet). Même dans le cas où les vêtements techniques sont éco-conçus, la priorité pour les rendre durables est de diminuer les volumes produits et consommés. «Dans l’optique d’un horizon soutenable, il faudrait acheter un kilogramme de vêtements neufs par personne et par an, soit cinq pièces», précise-t-elle d’après le rapport du think thank Hot or cool. Aujourd’hui, en France, nous achetons en moyenne 9,5 kilogrammes d’habits par personne et par an.

Pour réduire sa consommation, il faut encore éviter le piège de l’hyperspécialisation, précise Flore Berlingen. Certaines marques mettent en avant des produits dédiés à un seul sport, tandis que dans le cadre d’une pratique amateur, un tee-shirt de yoga peut aussi servir à la danse ou à la course à pied par exemple.

La spécialiste donne quatre critères pour repérer si une marque ne pousse pas à la consommation : la fréquence de renouvellement de ses collections est faible, elle n’incite pas au crédit, elle n’a pas recours massivement à la promotion et sa gamme se concentre sur des basiques sans être trop large.

En 2022, Zero Waste avait porté plainte contre Adidas et New Balance pour greenwashing, deux marques qui vantaient le recyclage de leurs produits alors qu’elles inondent le marché de millions de sneakers par an et proposent plusieurs nouveaux modèles par saison.

https://twitter.com/ZeroWasteFR/status/1539942002174869507

Le meilleur article de sport reste probablement celui que l’on n’achète pas neuf et que l’on fait durer longtemps.

Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.