Reportage

À Charleville-Mézières, le festival de musique Cabaret vert défend une écologie populaire «ancrée dans le territoire»

Vert a infiltré les coulisses du festival de musique Cabaret vert, qui se déroule du 15 au 19 août, à Charleville-Mézières, dans les Ardennes. Saucisses de sanglier, projet de turbines à eau, centre de tri : tour d’horizon des efforts et des défis pour concilier territoire et écologie.
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En ce début de soirée du ven­dre­di 16 août, face à la scène prin­ci­pale, des grappes de jeunes, bière à la main et mail­lot de foot ou crop top sur les épaules, scan­dent les paroles de la rappeuse belge Shay, mimant des cœurs avec les mains et encour­ageant ses danseuses endi­a­blées. À quelques pas de là s’écoule la Meuse, bor­dant, impa­vide, les quelque 25 000 festivalier·es réuni·es pour la quinz­ième édi­tion du Cabaret vert, qui se tient à Charleville-Méz­ières (Ardennes) depuis 2005.

Cinq scènes, 108 artistes, 2 500 bénév­oles, et… quelques mil­liers de tonnes de gaz à effet de serre (3 287 tonnes émis­es en 2022 lors du dernier bilan en date). Un fes­ti­val de musique n’est jamais neu­tre pour l’environnement, même lorsque celui-ci est porté sur le sujet.

Le rappeur Youssef Swat­t’s, sur la scène Green­floor du fes­ti­val, ven­dre­di soir. © G. Moris­set

Au Cabaret vert, chaque participant·e rejette en moyenne 26 kilo­grammes de CO2eq — l’équiv­a­lent de 3,5 repas avec du bœuf. C’est deux fois moins que la moyenne des fes­ti­vals français, estimée à 50 kgCO2eq par le lab­o­ra­toire d’idées The Shift project. Et dix fois moins que les événe­ments musi­caux les plus gour­mands en car­bone, comme le Belge Tomor­row­land qui voit venir chaque année 100 000 de ses participant·es… en avion.

575 fois le tour de la Terre

L’impact cli­ma­tique d’un tel événe­ment tient surtout (à 55%) à la com­bus­tion de car­bu­rant lié aux trans­ports du pub­lic et des artistes. En 2022, 23 mil­lions de kilo­mètres avaient été par­cou­rus par les festivalier·es du Cabaret vert, l’équivalent de 575 fois le tour de la Terre.

Arrivée de festivalier·es à vélo au Cabaret vert à Charleville-Méz­ières © M. Tchak­makd­jian

Pour encour­ager les mobil­ités durables, navettes urbaines de nuit, lignes de car affrétées pour l’occasion, bil­let retour en TER à 1€ et park­ing XXL de vélos ont été mis en place. Des solu­tions effi­caces ? «Dans ce ter­ri­toire rur­al, l’enjeu, c’est de faire con­naître ces dis­posi­tifs et d’insister sur les autres effets béné­fiques», pointe la direc­trice du développe­ment durable, Camille Muller. Par exem­ple, celles et ceux qui emprun­tent les cars décrochent leur bracelet d’accès sans avoir à faire la queue.

Ecocups con­signées, toi­lettes sèch­es, cen­tre de tri sophis­tiqué : le moin­dre gaspillage est traqué. «Une journée avec un mode de vie comme au fes­ti­val, c’est com­pat­i­ble avec la tra­jec­toire nationale de réduc­tion des émis­sions pour 2030», s’enthousiasme Pierre-François Berri­er, ingénieur envi­ron­nement et référent de la Fresque du cli­mat dans le départe­ment. Aux côtés de bénév­oles de toutes les généra­tions, il réalise des ate­liers d’initiation à la Fresque pour «dédrama­tis­er le sujet et mon­tr­er les solu­tions».

Sobriété et bidoche façon Mad max

Mais cer­tains imag­i­naires ont la peau dure. Ceux asso­ciés à la bidoche notam­ment, très présente dans cer­tains lieux du fes­ti­val, comme sur le stand Bar­back, où un bar­be­cue géant de sauciss­es XXL du coin fait face à celui de «Gro­in­Groin», qui emprunte furieuse­ment à Mad Max. «On ne veut pas froiss­er les fes­ti­va­liers qui veu­lent manger une salade au lard», explique Camille Muller, qu préfère miser sur la péd­a­gogie.

Bon an mal an, la végé­tal­i­sa­tion des assi­ettes pro­gresse. En 2022, la moitié des plats étaient végé­tariens. Cette année, des panon­ceaux pré­cisent l’impact car­bone de chaque plat. Chez «Aux saveurs de l’Ardenne», on peut désor­mais déguster une bonne soupe végé ; la plu­part des points de restau­ra­tion pro­posent au moins une option végé­tari­enne. Une charte de la restau­ra­tion durable oblige les restaurateur·ices à se fournir à moins de 200 kilo­mètres.

Des bar­be­cues géants qui côtoient les stands végé­tariens : un com­pro­mis essen­tiel pour con­serv­er l’ancrage local, selon les organisateur·ices. © Mar­got Desmons/Vert

Local, sinon rien

Les festivalier·es sont aus­si du cru. Alors qu’elles et ils représen­tent la moitié du pub­lic, les Ardennais·es ne génèrent que 12% des émis­sions de GES. Pour dimin­uer son empreinte car­bone, le fes­ti­val mise sur un pub­lic de prox­im­ité, en accord avec son ADN.

Son pre­mier slo­gan était «rock et ter­ri­toire» : le Cabaret vert chérit son ancrage local et peut aus­si compter sur le sou­tien financier de 400 mécènes, dont beau­coup d’entreprises régionales. Si 80% de son bud­get est issu de fonds pro­pres (bil­let­terie, recettes des stands et pro­duits dérivés), 15% provient des mécènes et 5% de sub­ven­tions publiques.

Nos con­frères du jour­nal local l’Ardennais en on fait leur Une : le fes­ti­val est aus­si une pépite pour l’attractivité de Charleville-Méz­ières, source d’importantes retombées économiques. Alors, pour réduire ses impacts envi­ron­nemen­taux, tous les acteurs locaux sont mobil­isés.

«La solu­tion n’est pas la sup­pres­sion du Cabaret vert, mais con­serv­er ce qu’on aime et dévelop­per les éner­gies renou­ve­lables», défend le maire Boris Rav­i­gnon (ex-LR), très engagé dans le développe­ment du fes­ti­val. Pour lui, celui-ci «con­tribue à une prise de con­science et à l’évolution des modes de vie avec une écolo­gie pop­u­laire qui con­cilie pou­voir d’achat et envi­ron­nement». Les derniers débats du sché­ma directeur des mobil­ités, adop­té en 2021, se sont tenus au fes­ti­val et ont con­tribué à abaiss­er la vitesse de cir­cu­la­tion à 30 km/h dans la ville, créer des pistes cyclables et réduire les espaces de sta­tion­nement.

Le site du fes­ti­val est situé en plein cœur de la ville de Charville-Méz­ières (Ardennes). A droite, l’an­ci­enne usine La Macéri­enne où doit voir le jour une cen­trale hydroélec­trique qui ali­mentera le Cabaret en énergie verte © M. Tchak­makd­jian

Annon­cé ce ven­dre­di, un nou­veau pro­jet prévoit de ren­dre le fes­ti­val autonome à 95% en énergie et de l’alimenter à 100% à par­tir de renou­ve­lables d’ici à 2030. Enedis doit rac­corder le site au réseau élec­trique en 2025, moyen­nant la con­struc­tion d’une ligne à haute ten­sion enter­rée d’un kilo­mètre de long. Exit les 20 généra­teurs au fioul et leurs 25 353 litres de car­bu­rant : le Cabaret deviendrait l’un des tout pre­miers fes­ti­vals à béné­fici­er du réseau élec­trique pour ali­menter ses scènes. Pour une baisse de 90% des émis­sions de gaz à effet de serre liées à l’énergie (3% du bilan car­bone total).

Le Cabaret vert envis­age de pro­duire sa pro­pre élec­tric­ité en instal­lant des pan­neaux solaires sur les bâti­ments du site. Il prévoit aus­si de réha­biliter deux tur­bines à eau de l’ancienne et majestueuse usine de fab­ri­ca­tion de pièces de vélo et d’auto, La Macéri­enne, fer­mée en 1984, dont le bâti­ment indus­triel de la fin du 19ème siè­cle jouxte le site. Qua­tre jours par an, cette élec­tric­ité verte ali­menterait le fes­ti­val. Le reste de l’année, elle serait ven­due aux indus­triels voisins. Pour Julien Sauvage, fon­da­teur et directeur général du Cabaret vert, c’est un sym­bole fort : «Un fes­ti­val de rock pour­rait bien­tôt con­tribuer à la décar­bon­a­tion de l’industrie arden­naise».