En ce début de soirée du vendredi 16 août, face à la scène principale, des grappes de jeunes, bière à la main et maillot de foot ou crop top sur les épaules, scandent les paroles de la rappeuse belge Shay, mimant des cœurs avec les mains et encourageant ses danseuses endiablées. À quelques pas de là s’écoule la Meuse, bordant, impavide, les quelque 25 000 festivalier·es réuni·es pour la quinzième édition du Cabaret vert, qui se tient à Charleville-Mézières (Ardennes) depuis 2005.
Cinq scènes, 108 artistes, 2 500 bénévoles, et… quelques milliers de tonnes de gaz à effet de serre (3 287 tonnes émises en 2022 lors du dernier bilan en date). Un festival de musique n’est jamais neutre pour l’environnement, même lorsque celui-ci est porté sur le sujet.
Au Cabaret vert, chaque participant·e rejette en moyenne 26 kilogrammes de CO2eq — l’équivalent de 3,5 repas avec du bœuf. C’est deux fois moins que la moyenne des festivals français, estimée à 50 kgCO2eq par le laboratoire d’idées The Shift project. Et dix fois moins que les événements musicaux les plus gourmands en carbone, comme le Belge Tomorrowland qui voit venir chaque année 100 000 de ses participant·es… en avion.
575 fois le tour de la Terre
L’impact climatique d’un tel événement tient surtout (à 55%) à la combustion de carburant lié aux transports du public et des artistes. En 2022, 23 millions de kilomètres avaient été parcourus par les festivalier·es du Cabaret vert, l’équivalent de 575 fois le tour de la Terre.
Pour encourager les mobilités durables, navettes urbaines de nuit, lignes de car affrétées pour l’occasion, billet retour en TER à 1€ et parking XXL de vélos ont été mis en place. Des solutions efficaces ? «Dans ce territoire rural, l’enjeu, c’est de faire connaître ces dispositifs et d’insister sur les autres effets bénéfiques», pointe la directrice du développement durable, Camille Muller. Par exemple, celles et ceux qui empruntent les cars décrochent leur bracelet d’accès sans avoir à faire la queue.
Ecocups consignées, toilettes sèches, centre de tri sophistiqué : le moindre gaspillage est traqué. «Une journée avec un mode de vie comme au festival, c’est compatible avec la trajectoire nationale de réduction des émissions pour 2030», s’enthousiasme Pierre-François Berrier, ingénieur environnement et référent de la Fresque du climat dans le département. Aux côtés de bénévoles de toutes les générations, il réalise des ateliers d’initiation à la Fresque pour «dédramatiser le sujet et montrer les solutions».
Sobriété et bidoche façon Mad max
Mais certains imaginaires ont la peau dure. Ceux associés à la bidoche notamment, très présente dans certains lieux du festival, comme sur le stand Barback, où un barbecue géant de saucisses XXL du coin fait face à celui de «GroinGroin», qui emprunte furieusement à Mad Max. «On ne veut pas froisser les festivaliers qui veulent manger une salade au lard», explique Camille Muller, qu préfère miser sur la pédagogie.
Bon an mal an, la végétalisation des assiettes progresse. En 2022, la moitié des plats étaient végétariens. Cette année, des panonceaux précisent l’impact carbone de chaque plat. Chez «Aux saveurs de l’Ardenne», on peut désormais déguster une bonne soupe végé ; la plupart des points de restauration proposent au moins une option végétarienne. Une charte de la restauration durable oblige les restaurateur·ices à se fournir à moins de 200 kilomètres.
Local, sinon rien
Les festivalier·es sont aussi du cru. Alors qu’elles et ils représentent la moitié du public, les Ardennais·es ne génèrent que 12% des émissions de GES. Pour diminuer son empreinte carbone, le festival mise sur un public de proximité, en accord avec son ADN.
Son premier slogan était «rock et territoire» : le Cabaret vert chérit son ancrage local et peut aussi compter sur le soutien financier de 400 mécènes, dont beaucoup d’entreprises régionales. Si 80% de son budget est issu de fonds propres (billetterie, recettes des stands et produits dérivés), 15% provient des mécènes et 5% de subventions publiques.
Nos confrères du journal local l’Ardennais en on fait leur Une : le festival est aussi une pépite pour l’attractivité de Charleville-Mézières, source d’importantes retombées économiques. Alors, pour réduire ses impacts environnementaux, tous les acteurs locaux sont mobilisés.
«La solution n’est pas la suppression du Cabaret vert, mais conserver ce qu’on aime et développer les énergies renouvelables», défend le maire Boris Ravignon (ex-LR), très engagé dans le développement du festival. Pour lui, celui-ci «contribue à une prise de conscience et à l’évolution des modes de vie avec une écologie populaire qui concilie pouvoir d’achat et environnement». Les derniers débats du schéma directeur des mobilités, adopté en 2021, se sont tenus au festival et ont contribué à abaisser la vitesse de circulation à 30 km/h dans la ville, créer des pistes cyclables et réduire les espaces de stationnement.
Annoncé ce vendredi, un nouveau projet prévoit de rendre le festival autonome à 95% en énergie et de l’alimenter à 100% à partir de renouvelables d’ici à 2030. Enedis doit raccorder le site au réseau électrique en 2025, moyennant la construction d’une ligne à haute tension enterrée d’un kilomètre de long. Exit les 20 générateurs au fioul et leurs 25 353 litres de carburant : le Cabaret deviendrait l’un des tout premiers festivals à bénéficier du réseau électrique pour alimenter ses scènes. Pour une baisse de 90% des émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie (3% du bilan carbone total).
Le Cabaret vert envisage de produire sa propre électricité en installant des panneaux solaires sur les bâtiments du site. Il prévoit aussi de réhabiliter deux turbines à eau de l’ancienne et majestueuse usine de fabrication de pièces de vélo et d’auto, La Macérienne, fermée en 1984, dont le bâtiment industriel de la fin du 19ème siècle jouxte le site. Quatre jours par an, cette électricité verte alimenterait le festival. Le reste de l’année, elle serait vendue aux industriels voisins. Pour Julien Sauvage, fondateur et directeur général du Cabaret vert, c’est un symbole fort : «Un festival de rock pourrait bientôt contribuer à la décarbonation de l’industrie ardennaise».