Colère des agriculteurs, Soulèvements de la Terre, souveraineté alimentaire : Marc Fesneau répond à Vert sur la crise agricole

Chères toutes et chers tous,

Vous tenez entre les mains une édition spéciale pour un entretien pas comme les autres.

🚜 Après moult revirements dans un calendrier ultra-serré, nos journalistes Jennifer Gallé et Loup Espargilière ont rencontré le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, ce vendredi, à l'avant-veille d'un Salon de l'agriculture explosif.

Parmi les nombreux sujets que nous avons abordés : la souveraineté alimentaire, concept mal compris qui sert de cap au gouvernement ; la rémunération des agriculteurs et ses moyens de contrôle ; la gestion politique de la colère agricole, et la différence avec celle des mouvements écologistes (y a-t-il un «deux poids deux mesures»?); les «mégabassines» et leurs opposant·es, dont les Soulèvements de la Terre ; la transformation des modèles agricoles, à l'heure des crises ukrainienne et climatique.

Nous espérons que cet entretien apportera des réponses aux questions brûlantes que vous vous posez.

Loup Espargilière et Jennifer Gallé avec Marc Fesneau, le vendredi 23 février, au ministère de l’Agriculture à Paris. © Alexandre Carré/Vert

Colère des agriculteurs, Soulèvements de la Terre, souveraineté alimentaire : Marc Fesneau répond à Vert sur la crise agricole

À l’heure où s’ouvre la 60ème édition du Salon de l’agriculture, ce samedi à Paris, Vert a pu s’entretenir longuement avec le ministre de l’Agriculture. Colère des agriculteurs, Soulèvements de la Terre, souveraineté alimentaire, pesticides, haies… Aucun des épineux sujets du moment n’a été écarté.

Jennifer Gallé. Comment abordez-vous ce Salon de l'agriculture qui s'annonce particulier ? Avez-vous le sentiment d’avoir réussi à apaiser la colère du monde agricole français ?

 

Je l’aborde avec une forme de vigilance et d'exigence, comme celle que je sens venir du monde agricole. Mais ce serait prétentieux de penser qu'on a apaisé la colère. Ce dont il est question, ce sont à la fois de sujets conjoncturels - la crise du bio, la crise de l'élevage, la crise viticole - et des sujets de plus long terme, comme celui des marchés.

Il y a aussi la question des normes, de comment elles sont vécues. Et, donc, des nécessités de simplification. Il y a une forme d'éruptivité du débat et du dialogue sur tous ces sujets. On essaie de trouver des solutions qui combinent à la fois les nécessités de souveraineté de production et celles des transitions qui sont absolument nécessaires. Ce n'est pas un équilibre facile à tenir.
 

Loup Espargilière. Hier matin, sur TF1, vous avez dit des Soulèvements de la Terre que leur seul mode d'expression, c'était «plutôt le cocktail Molotov». Vous dites souvent que vous voulez sortir des caricatures. Est-ce que là, vous n'avez pas l'impression d’y être, dans la caricature ?

Citez-moi un endroit où les Soulèvements de la Terre sont venus se mettre autour de la table et faire des propositions au-delà de la démolition ? Ce sont des faits, que les citoyens ont sous les yeux, comme le ministre de l'Agriculture.

Jamais, je ne caricature les ONG environnementales. Parfois je suis d’accord ou pas d’accord avec eux, c'est la vie. Jamais vous ne m'avez entendu taper sur la LPO, sur le WWF ou la FNE. Au sujet des Soulèvements, je maintiens et je réitère ce que j'ai dit, y compris hier matin, leur mode d'action, c'est la violence.

© Alexandre Carré/Vert

L.E. Pendant la crise des gilets jaunes, par exemple, des éléments plus radicaux que d’autres ont utilisé des cocktails Molotov. Je ne sais pas si pour autant, on peut réduire le mouvement des Gilets jaunes à ses éléments les plus violents. Considérez-vous que les Soulèvements de la Terre, c’est juste de la violence ?

C’est un peu comme si vous aviez un problème avec votre voisin, que vous commenciez par lui casser la figure et qu’après vous disiez : «Est-ce qu'on ne pourrait pas se parler ?». Le dialogue, il est utile quand il y a des gens qui cherchent du compromis. Où est cette volonté dans la forme d'expression des Soulèvements de la Terre ? Pour eux, c’est : «Tout le monde doit penser comme moi. Et si on n'est pas d'accord avec moi, je casse». Ce n’est pas la démocratie, ce n’est pas l’Etat de droit. C'est la loi du plus fort.
 

J.G. Pour répondre à la crise agricole, le gouvernement a un mot d’ordre : la souveraineté alimentaire. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Quelle en est votre définition ?

C'est la capacité à pourvoir aux besoins alimentaires qui sont les nôtres et à nos besoins géopolitiques. C'est ça, la souveraineté. Et ce n’est pas l'autarcie, c’est accepter la part d'interdépendance. Il s’agit donc d’une stratégie nationale, européenne et internationale. Ce n’est pas qu’une vocation exportatrice. Il m’importe aussi de savoir, par exemple, qui nourrit l'Afrique. Je préfère que ce soit nous que monsieur Poutine. Vraiment.
 

L.E. Mais là, on parle de la souveraineté de l'Afrique, pas celle de la France…

Si. Imaginez que Poutine dise : «C'est fini, j’arrête d’approvisionner l’Afrique». Qu'est-ce qui va se passer ? Quand les gens meurent de faim, ils partent. C'est une question de vie ou de mort. De telles situations, cela déstabilise les frontières voisines. Mais pour Moscou, ce n’est pas grave de déstabiliser les frontières voisines de l'Afrique. Pour la France, si.

© Alexandre Carré/Vert

L.E. Nourrir l'Afrique, cela permet donc à la France de rester souveraine de ses frontières ?

Dans l’histoire, les grandes migrations sont souvent liées aux famines.
 

L.E. Avec cette approche de la souveraineté alimentaire, on est très loin de la définition originelle de la Via Campesina, qui veut favoriser une agriculture de subsistance qui ne soit pas ouverte à tous les vents du marché…

L’un n’exclut pas l’autre. Il faut prendre en compte les réalités du terrain. Il y a des pays qui ne peuvent pas pourvoir à leurs besoins, compte tenu des sols ou du climat. C’est le cas de l’Égypte par exemple. Et je pense que nous sommes davantage bienveillants sur ces questions que Poutine, qui déverse des céréales à zéro euro avec l’objectif à terme de mettre ces pays à genou.

Cela fait partie de la souveraineté de se demander quelles sont les solidarités, les interdépendances choisies à mettre en place pour faire en sorte que le monde soit plus stable et coopératif sur les questions agricoles.
 

J.G. Sur l’Ukraine, si le pays ne tombe pas aux mains des Russes, il va falloir intégrer cette agriculture extrêmement productiviste au sein de l'espace européen et ses normes. C'est un immense chantier.

Oui, et c'est à mon avis un chantier de longue haleine. L’Ukraine a un énorme potentiel agricole et c’est un modèle très éloigné du nôtre. Notamment au niveau de la taille des exploitations. Je n'imagine pas qu'on verse des subventions de la Politique agricole commune à des structures de 40 000 hectares… Mais qu'elle soit dans l’Union européenne ou pas, on a besoin de coopérer avec l'Ukraine. Sinon, au-delà du combat pour la liberté qui est central, ce sera Poutine qui en utilisera le potentiel pour déstabiliser les marchés agricoles européens et même mondiaux.

© Alexandre Carré/Vert

L.E. Il y a un an et demi, sur RMC, vous avez dit : «il y a la tentation pour un certain nombre de gens de s'abstraire des règles de droit par la force. Si vous laissez faire ça, tout projet va se trouver entravé parce qu'un certain nombre de gens ultra minoritaires décident de s'y opposer». Vous parliez des manifestants opposés aux «mégabassines» à Sainte-Soline et vous disiez que l'appellation d'«écoterrorisme» par Gérald Darmanin était plutôt juste. Là, après plusieurs semaines de colère, on a vu l'explosion d'un bâtiment de la Dréal, des dégradations sur des préfectures, l'incendie d'un bâtiment de la Mutualité agricole et très peu, voire pas de condamnations de votre part. Bon nombre de gens se demandent s'il n'y a pas un «deux poids deux mesures» entre, d’un côté, les agriculteurs et de l’autre, le mouvement écologiste.

C'est inexact : je condamne en tout lieu, en tout temps, et en toute occasion, la violence. Je réitère que la violence n'est pas un moyen d'expression.
 

L.E. Et concernant l’explosion du bâtiment de la Dréal ?

On n'a pas les auteurs, on ne sait pas qui c'est, mais on cherche, la justice est saisie. Là où il y a eu des dégradations et des actes de violence volontaire, la justice s'est mise en action. Différencions les quelques personnes qui ont fait ça du reste.
 

L.E. Pour vous, il n'y a donc pas de deux poids deux mesures...

À chaque fois qu'il y a eu de la violence, on y a mis un terme. Là, il y a un travail d’enquête en cours pour identifier ceux qui ont incendié à 3 heures du matin ; ils seront arrêtés. Mais moi, je n'ai aucune bienveillance à l'endroit de la violence. Aucune et d’où qu’elle vienne.

👉 Cliquez ici pour lire la suite de cet entretien mené par Loup Espargilière et Jennifer Gallé, où sont abordé·es la question des mégabassines, de la préservation des haies et de l’usage des pesticides.

+ Alexandre Carré, Loup Espargilière et Juliette Quef ont contribué à cette édition spéciale.