Bonnes feuilles

«Le grand moteur de la vie, c’est la compétition»

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Bonnes feuilles. Ani­ma­teur des pod­casts «Baleine sous grav­il­lon» ou «Mécaniques du vivant», Marc Mortel­mans pub­lie le 19 avril 2024 aux édi­tions de l’Ate­lier un ouvrage pour en finir avec les idées reçues sur le vivant. Vert pub­lie en exclu­siv­ité plusieurs extraits. Aujourd’hui, l’idée reçue 22 : «Le grand moteur de la vie, c’est la com­péti­tion».

Le vivant n’est que liens (ou inter­ac­tions). Aucune espèce ne vit dans sa bulle, cha­cune inter­ag­it avec d’autres en per­ma­nence. L’une de ces inter­ac­tions, sur­mé­di­atisée, dans les doc­u­men­taires ani­maliers, c’est la pré­da­tion : «Je te mange ou tu me manges». Mais il y en a beau­coup d’autres ! Et pour les com­pren­dre – et les dis­tinguer – il faut se deman­der pour chaque espèce : qui lui apporte un béné­fice ? qui la prive de quelque chose ? qui existe autour d’elle de manière neu­tre, sans rien lui apporter ou lui pren­dre ? En gros : qui gagne, qui perd, et qui regarde pass­er les trains ?

De l’inégalité parmi les sociétés du vivant : des gagnants et des perdants

Les inter­ac­tions qui suiv­ent impliquent toutes qu’une espèce l’emporte sur l’autre.

• L’amensalisme

Une espèce fait du mal à une autre, sans en tir­er de béné­fice. Exem­ple : j’écrase une four­mi sans le savoir. Bilan : 1 per­dant (la four­mi), 0 gag­nant.

• Le parasitisme

Une espèce vit aux dépens des ressources d’une autre. Exem­ple : les vers soli­taires. Bilan : 1 per­dant (l’hôte), 1 gag­nant (le par­a­site).

• La prédation

À la dif­férence du par­a­sitisme, l’espèce «pré­da­trice» ne se con­tente pas de s’approprier une par­tie des ressources, elle prend tout, la bourse ET la vie. Exem­ple : les lions tuent et man­gent les zèbres. Bilan : 1 gag­nant (les lions), 1 per­dant (les zèbres). Toute sor­tie est défini­tive. Encore que ! Trop sou­vent, on se con­cen­tre unique­ment sur les inter­ac­tions entre ani­maux, et on ne retient qu’un seul côté de la pré­da­tion, celui où l’une des deux par­ties est entière­ment mangée. Mais, une fois de plus, ce serait oubli­er les plantes ! Les her­bi­vores «man­gent» certes l’herbe, mais ils ne la tuent pas tou­jours pour autant.

• La compétition

Deux espèces con­som­ment les mêmes ressources sur le même ter­ri­toire. Exem­ple : les loups et nos ancêtres ou bien des lions et des hyènes qui n’arrêtent pas de se bagar­rer et de se piquer leurs proies. Notez qu’à l’intérieur même de l’espèce Homo sapi­ens la com­péti­tion est la norme, à l’école, au tra­vail, dans le sport… Bilan : l’une ou l’autre espèce l’emporte, alter­na­tive­ment.

Commensalisme, mutualisme, symbiose : des gagnants, mais rarement à 50–50 !

Les rela­tions qui suiv­ent reposent, quant à elles, sur la coopéra­tion et l’entraide.

Un labre, petit pois­son net­toyeur, en pleine action. © David Clode/Unsplash

• Le commensalisme

C’est quand il n’y en a que pour une des deux espèces, sans que l’autre en souf­fre. L’étymologie de com­men­sal­isme sig­ni­fie «qui partage la même table», en référence au gîte et au cou­vert dont béné­fi­cient nos com­men­saux, nos squat­teurs, le plus sou­vent détestés. Par­mi les espèces com­men­sales, on peut citer : les souris et les rats chez les mam­mifères ; les moineaux domes­tiques, les pigeons bisets, les goé­lands et les étourneaux san­son­net chez les oiseaux ; les mouch­es, les blattes chez les insectes. Bilan : 1 gag­nant, 0 per­dant, juste des pique-assi­ettes et des pigeons, le plus sou­vent incon­scients de l’être et qui n’en souf­frent pas.

• Le mutualisme

On l’appelle aus­si «entraide». Les soins que pro­curent les labres net­toyeurs aux autres pois­sons dans les océans («Je te net­toie, tu me nour­ris») en sont un bel exem­ple. Les pois­sons vien­nent de loin et font la queue pour être net­toyés de leurs par­a­sites et autres peaux mortes. Bilan : gag­nant-gag­nant ! Le monde vivant est riche d’exemples de mutu­al­ismes. Comme le titrait le numéro des 40 ans de la revue Sala­man­dre : «L’union fait la vie 11». L’entraide est LA grande force du vivant, bien loin de la com­péti­tion, qui existe certes, mais qui n’a pas l’importance qu’on veut bien lui don­ner sou­vent. Avec le mutu­al­isme, nous sommes bien loin de l’image de la loi de jun­gle, de la loi du plus fort, pour­tant telle­ment battue et rebattue. Pablo Servi­gne et Gau­thi­er Chapelle ont con­sacré un livre à cette ques­tion en 2017, L’Entraide, l’autre loi de la jun­gle.

• La symbiose

C’est le plus fort degré de mutu­al­isme. Son nom vient du grec sym­biô­sis, (sýn, «avec, ensem­ble» et bíos, «vie»). C’est quand une espèce ne peut pas vivre sans l’autre. Voici quelques exem­ples : les polypes de corail et leur algue (les pre­miers offrent le gîte, la sec­onde par­ticipe au cou­vert en échange), les lichens for­més par un champignon qui héberge une algue verte et même par­fois un troisième lar­ron, en l’occurrence une cyanobac­térie, ou la mycorhize, cette alliance entre les champignons du sol et les racines des arbres, qui donne notam­ment les truffes. Là encore le marché est : «Passe-moi le sel, je te donne le sucre». Autrement dit : les champignons trans­met­tent les sels minéraux du sol à l’arbre, qui en retour offre aux champignons une par­tie des sucres qu’il fab­rique, et que le champignon est inca­pable de syn­thé­tis­er par lui-même.

Atten­tion, même dans ces rela­tions mutu­al­istes, la rela­tion peut, à tout moment, évoluer dans un sens dif­férent : l’un des deux parte­naires peut se met­tre à exploiter la sit­u­a­tion davan­tage en sa faveur. Un exem­ple typ­ique est celui des bour­dons pollinisa­teurs qui per­cent les fleurs à leur base pour accéder au nec­tar (on les qual­i­fie de «tricheurs») sans par­ticiper à la récolte du pollen puisqu’ils évi­tent les éta­mines. De même, on con­naît des cas chez des lichens où le champignon prend le dessus et «dévore» l’algue ! Le mutu­al­isme n’est donc pas for­cé­ment durable : il évolue selon les pres­sions de sélec­tion.

Le botaniste et nat­u­ral­iste Jean-Marie Pelt, un grand vul­gar­isa­teur autre­fois vénéré du grand pub­lic et aujourd’hui cri­tiqué par cer­tains sci­en­tifiques, avait ain­si résumé cet équili­bre entre la coopéra­tion et la com­péti­tion : «La coopéra­tion crée, la com­péti­tion trie».

Le neutralisme, un cas à part ?

Le neu­tral­isme, c’est-à-dire quand deux espèces coex­is­tent paci­fique­ment, sans inter­a­gir, a une place un peu à part. Mais ce neu­tral­isme est très théorique puisqu’il y a tou­jours, a min­i­ma, une faible inter­ac­tion. Le bat­te­ment des ailes du papil­lon, ça vous dit for­cé­ment quelque chose !

«En finir avec les idées reçues sur le monde vivant», Marc Mortel­mans, édi­tions de l’Atelier, 19 avril 2024, 344 pages, 13,50 €. Plus d’infos ici.