Anne-Claire Poirier - vert.eco

Après la «vague verte» de 2019, une marée brune guette désor­mais le Par­lement européen, à quelques semaines des prochaines élec­tions, du 6 au 9 juin. En France, dont le Rassem­ble­ment nation­al (RN) four­nit déjà le plus gros con­tin­gent d’eurodéputé·es depuis 2014 (23 sur 79), le par­ti creuse encore l’écart avec 31% des inten­tions de votes, con­tre 17% pour le camp prési­den­tiel, selon divers sondages.

La dynamique se con­firme ailleurs en Europe, de sorte que l’extrême droite pour­rait pass­er de 18 à 23 % des sièges au Par­lement européen et ain­si devenir la troisième force der­rière la droite (PPE) et les social­istes (S&D). Jor­dan Bardel­la, qui mène la liste RN, s’en frotte déjà les mains, promet­tant de «met­tre en échec un cer­tain nom­bre de textes» grâce à sa «minorité de blocage».

L’eurodéputé a deux pri­or­ités en tête : tor­piller le Pacte sur la migra­tion (qui prévoit pour­tant un dur­cisse­ment de la poli­tique migra­toire européenne) pour éviter de «soumet­tre la France à un nou­v­el appel d’air migra­toire» et abolir le Pacte vert européen, accusé d’avoir «imposé la décrois­sance agri­cole» au pré­texte de décar­bon­er l’économie du Vieux Con­ti­nent.

Con­tre «l’Europe puni­tive», Jor­dan Bardel­la promet une «écolo­gie pos­i­tive» dont les con­tours ne sont pas vrai­ment clairs – le par­ti n’a pas encore dévoilé de pro­gramme. Un coup d’œil aux pris­es de posi­tion du par­ti dans l’hémicycle européen per­met toute­fois de se don­ner une idée.

Jor­dan Bardel­la lors d’un meet­ing pour les élec­tions européennes à Mont­béliard, le 22 mars 2024. © Patrick Hert­zog / AFP

«L’écologie positive» du RN est anti-climat

Dès novem­bre 2019, les eurodéputé·es RN ont voté con­tre la réso­lu­tion du Par­lement européen déclarant «l’urgence cli­ma­tique et envi­ron­nemen­tale», sig­nale à Vert l’expert en poli­tiques européennes Neil Makaroff, qui a épluché l’historique du par­ti à Brux­elles pour la Fon­da­tion Jean Jau­rès. «Ils se sont ensuite opposés à la plu­part des lois qui com­posent le Pacte Vert européen.»

Dans le secteur de l’énergie, par exem­ple, la for­ma­tion d’extrême droite a voté con­tre le dou­ble­ment de la part des renou­ve­lables (de 20 à 42,5%) dans la con­som­ma­tion européenne d’ici à 2030. «Jugées inutiles par l’extrême droite, qui veut les déman­tel­er, les éner­gies renou­ve­lables ont pour­tant fait économiser 100 mil­liards d’euros aux Européens en impor­ta­tions de gaz, prin­ci­pale­ment de Russie», souligne Neil Makaroff. Au plus fort de la crise rus­so-ukraini­enne, les eurodéputé·es du RN et de Recon­quête ont voté con­tre les amende­ments organ­isant l’embargo sur le gaz, le pét­role et le char­bon russ­es.

Sur l’agriculture, le RN a voté con­tre la stratégie dite «de la ferme à la fourchette» (la décli­nai­son du Pacte vert pour l’agriculture) et s’est opposé à tous les textes qui en ont découlé — sur la réduc­tion des pes­ti­cides ou la mon­tée en puis­sance de l’agriculture biologique notam­ment. En revanche, il s’est opposé de manière con­stante à tous les accords de libre-échange. Ceux-ci sont égale­ment dénon­cés à gauche de l’hémicycle car peu com­pat­i­bles avec les objec­tifs cli­ma­tiques et soci­aux de l’UE.

Con­cer­nant l’industrie, Jor­dan Bardel­la prône le «patri­o­tisme économique» et le «local­isme». Pour­tant, les élu·es du RN, comme de Recon­quête, n’ont pas soutenu la taxe car­bone aux fron­tières de l’Union, qui vise juste­ment à tax­er les impor­ta­tions de cer­tains pro­duits très pol­lu­ants (fer, aci­er, alu­mini­um, ciment, engrais et élec­tric­ité). Au Par­lement européen, elles et ils se sont opposé·es à la fin de vente des moteurs ther­miques neufs en 2035, pointant le risque de désin­dus­tri­al­i­sa­tion. «C’est au con­traire un sig­nal clair aux investis­seurs, qui les inci­tent à s’implanter en Europe», rétorque Neil Makaroff.

«L’écologie positive» est anti-sociale

«Bien qu’il se con­sid­ère comme le défenseur des class­es moyennes et pop­u­laires, le Rassem­ble­ment nation­al s’oppose aux solu­tions européennes qui pour­raient aider les ménages dans la tran­si­tion», souligne Neil Makaroff. Les eurodéputé·es Recon­quête ont voté con­tre l’interdiction des coupures d’électricité pour les plus pré­caires ; le RN s’est abstenu.

La for­ma­tion de Jor­dan Bardel­la s’est égale­ment opposée à la loi européenne sur l’obligation de réno­va­tion des pas­soires ther­miques. De même, les élu·es RN et Recon­quête ont voté con­tre le Fonds social européen qui aident les plus pré­caires à financer la réno­va­tion de leur loge­ment ou à accéder au véhicule élec­trique par exem­ple.

En par­al­lèle, le Rassem­ble­ment nation­al et Recon­quête se sont opposés à la tax­a­tion des super­prof­its des géants du pét­role, gaz et char­bon.

Au vu de son bilan, Neil Makaroff juge que le ren­force­ment de l’extrême droite au Par­lement européen représente un «vrai risque de détri­co­tage, car beau­coup de lois du Pacte Vert européen com­pren­nent des claus­es de revoyure en 2026–2027». C’est le cas par exem­ple de la loi sur la fin de vente des véhicules ther­miques neufs à 2035. En clair, si l’extrême droite gagne, c’est le cli­mat qui y per­dra.

Le Rassem­ble­ment nation­al n’a pas don­né suite à nos deman­des d’interview.