Décryptage

En cet été brûlant, les excès des plus riches deviennent de plus en plus insupportables

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Lutte des glaces. Sauts de puce en jet privé, golfs arrosés… Tan­dis que le dérè­gle­ment cli­ma­tique affecte de plus en plus le quo­ti­di­en des gens et que les pou­voirs publics récla­ment des efforts de sobriété, les con­som­ma­tions pol­lu­antes et osten­ta­toires d’une petite part de la pop­u­la­tion devi­en­nent source de ten­sions.

Pen­dant plusieurs jours, la semaine dernière, les habitant·es de Gérard­mer (Vos­ges) ont été contraint·es de faire bouil­lir l’eau de leur robi­net pour la ren­dre potable. À cause d’une pénurie, cette dernière était pom­pée dans le lac. Fin juil­let, les jacuzzis de cinq loge­ments de vacances de la com­mune ont été éven­trés et mar­qués d’un mes­sage : « l’eau, c’est fait pour boire », a rap­porté le quo­ti­di­en Libéra­tion dans ses colonnes. Cet inci­dent qui peut sem­bler anec­do­tique est pour­tant révéla­teur d’un ras-le-bol bien plus large.

Même colère, mais stratégie dif­férente : il y a plusieurs semaines, un col­lec­tif mil­i­tant du nom des « dégon­fleurs de SUV » s’est fait con­naître à Paris et dans l’ouest de la France en s’en prenant aux pneus d’une cen­taine de ces véhicules mas­sifs, qui con­stituent la deux­ième cause d’accélération de la crise cli­ma­tique (Vert).

Le pre­mier tweet des « dégon­fleurs de SUVs » pour revendi­quer leur pre­mière action, le 28 juil­let dernier.

Plus récem­ment encore, l’arrosage autorisé des ter­rains de golf dans des départe­ments en sit­u­a­tion de « crise sécher­esse » — le niveau de restric­tions d’eau le plus élevé -, a généré une vive incom­préhen­sion alors qu’une cen­taine de com­munes n’ont même plus accès à l’eau potable. Plusieurs respon­s­ables poli­tiques, dont le maire (EELV) de Greno­ble, Éric Piolle, et le député LFI-Nupes de Mar­seille, Hen­drik Davi, ont dénon­cé une pra­tique insen­sée.

Traqués par un nom­bre crois­sant de comptes sur les réseaux soci­aux, les allers-retours inces­sants des jets privés de mil­liar­daires sont désor­mais insup­port­a­bles pour de très nom­breux inter­nautes. Au cours du seul mois de mai 2022, le jet privé du mil­liar­daire Bernard Arnaud a généré quelque 176 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 17 années d’émissions d’un·e Français·e moyen·ne, selon les cal­culs de la page Insta­gram « L’avion de Bernard » (notre arti­cle).

Les tol­lés provo­qués illus­trent une ten­sion gran­dis­sante vis-à-vis de com­porte­ments pol­lu­ants réservés à une cer­taine frange de la pop­u­la­tion. Pen­dant des décen­nies de crois­sance économique, les iné­gal­ités de con­som­ma­tion con­sti­tu­aient, certes, une vio­lence sym­bol­ique, mais chacun·e pou­vait espér­er pour soi, ou ses enfants, accéder à un niveau de con­som­ma­tion supérieur, explique à Vert Maxime Combes, écon­o­miste spé­cial­isé dans les poli­tiques cli­ma­tiques et mem­bre d’Attac France. « C’est un raison­nement qui fonc­tionne assez bien quand on vit dans une péri­ode où le gâteau grandit et on peut raisonnable­ment penser avoir droit à une part plus impor­tante. »

Ce compte Twit­ter a cal­culé que les allers-retours d’un des jets de Vin­cent Bol­loré avaient émis plus de 19 tonnes de CO2 en une journée, soit l’équiv­a­lent de deux ans d’émis­sions pour un·e Français·e moyen·ne © Cap­ture d’écran Twit­ter

Ce qui ne sem­ble plus être le cas aujourd’hui. « Nous sommes entrés dans une péri­ode où la crise écologique impose de con­som­mer moins de ressources, et c’est là que la con­som­ma­tion osten­ta­toire devient pro­pre­ment insup­port­able », abonde-t-il. Ce décalage n’est alors plus une vio­lence sym­bol­ique, mais une vio­lence directe pour une par­tie de la pop­u­la­tion qui se voit exiger une con­som­ma­tion restreinte et subit de plein fou­et les effets de la crise, tan­dis qu’un petit nom­bre affiche des com­porte­ments écologique­ment insouten­ables.

« Nous sommes face à un tri­an­gle d’incompatibilité avec des pra­tiques osten­ta­toires d’un côté, la réduc­tion for­cée de con­som­ma­tion d’une large par­tie de la pop­u­la­tion et un gou­verne­ment qui fait de la com­mu­ni­ca­tion plus qu’il n’agit à la hau­teur des enjeux », théorise Maxime Combes. Pour l’économiste, seules des mesures féro­ces et ciblées con­tre les pra­tiques pol­lu­antes per­me­t­tront d’apaiser ces colères gran­dis­santes. Même con­stat pour le chercheur François Gemenne, qui prédit som­bre­ment sur Twit­ter que « sans arbi­trages poli­tiques forts et ambitieux, des ten­sions de ce type sont for­cé­ment appelées à dégénér­er ». La crise cli­ma­tique aurait-elle réveil­lé la lutte des class­es ?