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Au motif de la guerre en Ukraine, l’Europe met en pause le verdissement de son agriculture

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Le bon­heur est dans le pré­texte. Au nom de la sécu­rité ali­men­taire, la Com­mis­sion européenne devrait offi­cialis­er, ce mer­cre­di, une série de déro­ga­tions aux règles envi­ron­nemen­tales afin de boost­er sa pro­duc­tion agri­cole. Le volet agri­cole du pacte vert européen – ou Green deal – est aus­si remis en ques­tion.

Le con­flit qui oppose l’Ukraine à la Russie met en péril la sécu­rité ali­men­taire de nom­breux pays, en par­ti­c­uli­er en Afrique. Les deux pays représen­tent à eux seuls plus d’un quart des expor­ta­tions mon­di­ales de blé, dont dépen­dent tout par­ti­c­ulière­ment des pays comme l’Égypte, le Con­go, le Liban, la Libye ou encore la Soma­lie. C’est pour répon­dre à cette sit­u­a­tion que la Com­mis­sion européenne présente en urgence sa feuille de route pour « préserv­er la sécu­rité ali­men­taire et ren­forcer la résilience des sys­tèmes ali­men­taires ». Toute­fois, selon la ver­sion pro­vi­soire révélée par nos con­frères de Con­texte, il s’a­gi­ra surtout de con­tourn­er les règles envi­ron­nemen­tales pour libér­er le poten­tiel pro­duc­tif européen.

Ain­si, les sur­faces d’intérêt écologique (SIE, des zones où les exploitant·es doivent laiss­er la bio­di­ver­sité se dévelop­per), en par­ti­c­uli­er les jachères, seront remis­es en cul­ture et les États pour­ront aus­si « décider d’autoriser l’utilisation de pro­duits phy­tosan­i­taires sur ces ter­res ». Les lim­ites max­i­males en matière de résidus de pes­ti­cides ou d’OGM (Organ­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés) pour­raient être assou­plies, afin de faciliter les impor­ta­tions des­tinées à l’alimentation ani­male. À moyen terme, la Com­mis­sion européenne appelle toute­fois à pour­suiv­re le verdisse­ment de l’a­gri­cul­ture européenne, prévu dans la stratégie « Farm to fork » (de la ferme à la fourchette), sans quoi « la sécu­rité ali­men­taire sera grave­ment men­acée à long terme ».

© Flickr/Lise1011

Cette stratégie fixe plusieurs objec­tifs à l’horizon 2030, dont la réduc­tion de moitié de l’usage des pes­ti­cides, de 20 % de celui des engrais, l’atteinte de 25 % des sur­faces agri­coles utiles cul­tivées en bio. D’aucuns red­outent une baisse de ren­de­ment sur cer­taines cul­tures, de sorte que plusieurs pays, dont la France, poussent à réduire les ambi­tions. « Ces objec­tifs doivent être revus, car, en aucun cas, l’Europe ne peut se per­me­t­tre de pro­duire moins », a prévenu Emmanuel Macron le 17 mars.

Si la défense du « rôle nourrici­er » de l’Eu­rope sem­ble tomber sous le sens vu le con­texte, de nom­breux obser­va­teurs dénon­cent l’im­passe des mesures pro­posées. L’in­sécu­rité ali­men­taire actuelle a bien plus à voir avec l’affolement et la spécu­la­tion des marchés qu’avec de réelles pénuries, pointe ain­si le jour­nal­iste du Monde Stéphane Fou­cart dans une chronique. De fait, il est peu prob­a­ble que l’aug­men­ta­tion mar­ginale de la pro­duc­tion européenne fasse sub­stantielle­ment baiss­er les cours. Par con­tre, elle enrichi­ra à coup sûr les plus gros pro­duc­teurs européens.

Dans une tri­bune parue ven­dre­di 18 mars, près de 200 agronomes, agroé­con­o­mistes et agroé­co­logues européen·nes ont appelé à une trans­for­ma­tion du sys­tème ali­men­taire. Elles et ils exhor­t­ent à réduire la con­som­ma­tion de viande et de laitages, ce qui per­me­t­trait de réserv­er plus de céréales à la con­som­ma­tion humaine (plus de 60 % des ter­res arables européennes sont dévolues à l’alimentation des ani­maux). Les sig­nataires appel­lent en out­re à réduire le gaspillage sys­témique alors que le blé jeté dans l’Union européenne représente env­i­ron la moitié des expor­ta­tions ukraini­ennes. Surtout, réduire la dépen­dance aux engrais de syn­thèse fab­riqués à par­tir de gaz (russe) leur paraît indis­pens­able pour garan­tir réelle­ment la sécu­rité ali­men­taire de l’Eu­rope et du monde.